Quand Sup’Biotech s’intéresse aux innovations en cancérologie

Pour sa dernière conférence interprofessionnelle de l’année 2016-2017, Sup’Biotech avait choisi de réunir un panel d’experts pour aborder les dernières innovations en cancérologie et notamment les avancées de l’immunothérapie. Organisé en partenariat avec Cancer Campus et l’Institut Gustave-Roussy le mardi 21 mars sur le Campus Numérique & Créatif Paris Centre du Groupe IONIS, cet événement n’a pas manqué d’attirer un grand nombre d’étudiants et de professionnels, intéressés par les enjeux économiques, industriels et sanitaires propres à cette thématique.

retour_conference_supbiotech_mars_2017_sante_innovations_cancerologie_immunotherapies_03.jpgAprès une intervention de Nouzha Mohellibi, Consultant & Business Developer à Cancer Campus, venue parler des spécificités du programme Onco-entrepreneur favorisant la création de start-ups innovantes en oncologie, la conférence s’est poursuivie avec trois témoignages successifs. Premier à se lancer, Dominique Blanchard, projet leader santé en immuno-oncologie au sein de 3i BioSciences, a profité de l’occasion pour faire un bref historique de la lutte contre le cancer, du 19e siècle à nos jours, en précisant que le combat restait d’actualité (« En 2017, on gagne seulement 2,7 mois de survie. ») Pour le professionnel, l’espoir est pourtant de mise grâce à une recherche désormais positionnée sur l’immuno-oncologie après avoir plébiscité les vaccinations anti-cancéreuses dans les années 90. « Depuis les années 2000, on travaille davantage sur l’immuno surveillance. On cherche à comprendre la tumeur dans sa complexité, en termes de cellules, d’historique… Les tumeurs échappant aux thérapies ciblées, les immune checkpoints permettent aujourd’hui de complétement revoir le traitement des cancers. On se dit alors que la force du système immunitaire est plutôt d’être souple, de s’adapter à la tumeur. Avec le traitement des immunothérapies, on arrive à une rémission à long terme chez une minorité de patients. Le challenge est là : il faut encore accentuer ces résultats. » De quoi être optimiste malgré tout en matière de survie, surtout qu’il reste encore de nombreuses innovations à imaginer, notamment au niveau de la prévention et de la détection. « Prenons le cancer du poumon par exemple. Détecté tôt, il permet 85 % de survie contre 3,5 % s’il est détecté plus tardivement ».

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Nouzha Mohellibi

retour_conference_supbiotech_mars_2017_sante_innovations_cancerologie_immunotherapies_02.jpgDominique Blanchard et la journaliste Anne Pezet, en charge de l’animation de cette conférence

« L’humain est capital »
PDG d’ElyssaMed, une entreprise développant un traitement d’immunothérapie destiné au cancer du poumon, Cédric Poigneau a livré quant à lui sa vision de l’entrepreneuriat au cœur de l’oncologie. Soutenu par l’Institut Gustave-Roussy, ElyssaMed profite pleinement de la confiance accordée par le premier centre d’oncologie en Europe concernant les patients traités. « Cela permet d’avoir un panel d’études permettant d’avoir des statistiques et, par conséquent, de l’innovation », juge Cédric Poigneau. Son entreprise a d’ailleurs été lancée en 1996 pour suivre un patient prénommé Michel. « Il s’était fait opéré pour une ablation d’un poumon cancéreux. Après cette opération, se jugeant trop maigre, il a refusé la chimiothérapie. Or, six mois après, nous nous sommes aperçus qu’il développait sa propre défense immunitaire tumorale contre le cancer. Il est devenu notre patient cobaye par la suite, pour essayer de comprendre les raisons de cette réaction jusque-là jamais vue à l’Institut. Décédé il y a deux ans d’un problème autre que le cancer, Michel a ainsi permis la découverte d’une vingtaine de mécanismes analysés via la bio-informatique pour cibler l’antigène et ensuite mimer cette réponse. »

Pour le PDG, créer une entreprise dans le monde de la santé revient davantage à un marathon qu’à un sprint. « Cela demande du temps, d’autant que les processus de développement pharmaceutique sont longs, avec de nombreuses embuches à éviter. Mais la persévérance a du bon : nous avons remporté le Prix de la Ville de Paris l’an dernier et sommes en pleine levée de fonds afin de pouvoir commencer des essais sur les patients dans 18 mois. » Pour Cédric Poigneau, se lancer dans une pareille aventure demande aussi d’avoir une bonne équipe. « L’humain est capital. Cela passe par une équipe multidisciplinaire de qualité, dotée de compétences multiples permettant de répondre à toutes les problématiques. Il faut pouvoir compter sur des acteurs du monde médical, des scientifiques, des spécialistes de la gestion financière et en stratégie de développement, des partenaires en dehors de votre propre cadre de recherche, etc. Il ne faut pas rester dans son coin et avoir peur de l’autre : c’est une fausse idée de croire que les investisseurs investissent dans un projet. Ils investissent d’abord dans des personnes. »

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Cédric Poigneau

Les biologistes au cœur de l’innovation
Bernard Courtieu est également PDG, mais de la société IntegraGen spécialisée dans le séquençage du génome des tumeurs et biomarqueurs. « Integragen a été créée en 2000, ce qui en fait une « vieille start-up ». Jusqu’à présent, 100 % de notre chiffre d’affaires correspondait à notre activité de recherche en génomique pour transformer des échantillons en données. Désormais, suite à un partenariat avec le laboratoire Cerba, nous allons enfin pouvoir développer notre activité diagnostique, via des biomarqueurs spécifiques comme miRpredx, lancé cette année. » En plus de présenter son entreprise, le professionnel a choisi d’axer son intervention sur les opportunités offertes par la bio-informatique, discipline essentielle dans son activé. « Le développement des outils informatiques est capital car on peut générer plusieurs dizaines de giga-octets de données par patient ! Sans ces outils, impossible de fouiller dedans. Voilà pourquoi, depuis l’an 2000, nous sommes passés d’un à neuf employés en bio-informatique. » Parfois mis en concurrence avec Watson, l’intelligence artificielle d’IBM, IntegraGen ne partage pourtant pas la même vision. « Le but de Watson est de se substituer aux biologistes : je pense que c’est une erreur. On doit, au contraire, leur rendre la main, pour s’assurer que le patient et son médecin puissent prendre la décision ensemble. Les patients sont tous différents, n’ont pas les mêmes approches sur leur fin de vie. Un ordinateur ne peut pas prendre toutes les décisions. Le choix du médecin doit être compatible avec les objectifs de son patient. Et les outils informatiques doivent avant tout être faits par et pour les biologistes. »

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Bernard Courtieu

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Le prix des traitements en question
Après une pause permettant aux étudiants et professionnels d’échanger avec les invités de la conférence, cette dernière a continué avec une table-ronde réunissant Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques & internationales et des affaires publiques France du LEEM, syndicat référent du milieu pharmaceutique, Julia Bonastre, économiste de la santé à l’Institut Gustave-Roussy où elle dirige une équipe du service de bio statistique, et Pascal Piedbois, directeur médical au sein du laboratoire pharmaceutique Boehringer Ingelheim. Ensemble, ils ont rappelé quelques précisions sur la lutte contre le cancer, comme le fait que le principal traitement du cancer de nos jours reste encore la chirurgie avec plus de 90 % des patients guéris, mais surtout débattu du coût de l’innovation en cancérologie, ce dernier faisant l’objet de plusieurs craintes de la part d’associations et de malades. « Si le débat émerge dans la société, c’est que l’on commence à se poser la question de la soutenabilité des dépenses, estimait Julia Bonastre. Entre le monde de la recherche et celui de la santé telle qu’elle est pratiquée, on ne retrouve pas les mêmes enjeux. L’innovation ne fait qu’augmenter les coûts de traitement alors que le grand public craint de ne plus pouvoir payer très cher cette même innovation. Cela dit, ces traitements chers voient tout de même leurs prix baisser dans le temps. » Un avis partagé par Pascal Piedbois : « Ce prix n’est pas non plus immuable. On prévoit une baisse de moitié dans les 10 ans. »

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Pascal Piedbois, Julia Bonastre et Éric Baseilhac

Pour le LEEM, la mise sur le tapis de la question du prix des traitements est loin d’être une mauvaise idée. « Je suis plutôt content de ce débat, annonçait Éric Baseilhac. Aujourd’hui, ce coût des traitements est de 3,7 milliards en France, soit seulement 2 % des coûts globaux supportés par l’assurance maladie ! Alors oui, c’est malgré tout un véritable sujet, car l’augmentation va continuer à s’accélérer, avec l’arrivée des vagues successives d’innovations thérapeutiques et la mise en place de combo thérapies. Mais il faut bien voir que derrière ces innovations, il y a une vraie évolution. C’est ce que l’on appelle la chronicisation : pour un cas sur deux, on est en train de transformer une maladie mortelle en maladie chronique. On « diabétise » en quelque sorte le traitement du cancer. »

retour_conference_supbiotech_mars_2017_sante_innovations_cancerologie_immunotherapies_10.jpgLe médicament, un Airbus de la santé
Si les dernières innovations sont responsables de ces coûts à la hausse, il convient tout de même de rappeler que ces prix ne sortent pas de nulle part. « Le prix d’un médicament, il faut le mettre en parallèle avec ce qui tourne autour et ne pas oublier que l’immense majorité des traitements utilisés chaque jour sont efficaces ou assez efficaces sans représenter des chiffres aussi hauts comme 100 000 euros le médicament, rappelait Pascal Piedbois. En France, le prix est extrêmement maitrisé. Quand il arrive sur le marché, son prix est au préalable discuté entre l’industriel et les autorités du marché. Il est mis en adéquation par rapport aux dépenses de R&D, à la marge de bénéfice demandée par l’industriel et les dépenses liées à la mise sur le marché. Sauf que ce calcul est plutôt illusoire : le prix de ces médicaments ne couvre pas la recherche d’hier, il finance surtout celle d’aujourd’hui et demain ! L’industrie pharma dépense une très grande partie de son CA en investissement R&D. » Pour Éric Baseilhac, il faut aussi éviter de comparer l’incomparable. « On ne peut pas fixer le prix d’un médicament comme celui d’une baguette de pain car il y a des dizaines d’années de R&D derrière. Le médicament est un objet tellement singulier que son juste prix ne peut être que le fruit d’une transaction entre tous les acteurs légitimes pour le négocier, de l’industrie au régulateur en passant par un nouvel acteur qui s’est invité autour de la table : la société. » En tant qu’économiste, Julia tenait à préciser une particularité importante : « La grosse différence entre le traitement et la baguette de pain, c’est que vous êtes assuré(e) pour. »

retour_conference_supbiotech_mars_2017_sante_innovations_cancerologie_immunotherapies_11.jpgDes axes d’amélioration étudiés
La conférence s’est ensuite terminée avec l’intervention du Grand Témoin de l’événement, en la personne de Catherine Pajarès y Sanchez, co-rapporteur du rapport « Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants » du Conseil économique, social et environnemental (CESE) (disponible ici). « Nous avons travaillé sur ces questions car nous avons été très sensibles aux pétitions de médecin et de malades à ce sujet, conscients de cette peur de voir les malades être triés pour accéder à ces médicaments, comme ce fut le cas pour l’hépatite C lors de la mise en place d’un nouveau traitement en 2014. Nous avons donc auditionné le LEEM, des économistes de la santé, des médecins, des associations de malades ou encore Médecins du Monde pour réaliser ensuite des constats et émettre quelques préconisations très simples. Il faudrait plus de transparence dans la fixation des prix, en imaginant la présence de représentants des malades et des assurés sociaux dans les instances débattant de ces prix et les fixant. Il conviendrait également d’évaluer le service médical rendu par le médicament innovant, afin de savoir si ce prix est réellement pertinent. Pour cela, nous pouvons également penser à la mise en place d’indicateur thérapeutique unique pour les médicaments innovants, mais aussi associer les pharmaciens à ce suivi en vie réelle du médicament, hors des essais cliniques. D’autres solutions peuvent s’appliquer : développer des contrats à la performance, établir des études prospectives sur le coût réel via la Cour des Comptes ou France Stratégies, etc. Il faut surtout garder une question en tête : quelles sont nos priorités en matière d’accès aux soins ? »

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Catherine Pajarès y Sanchez

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