Et si vous effaciez vos mauvais souvenirs ?
Une équipe internationale de neuroscientifiques vient de mettre à jour des avancées utiles pour comprendre les mécanismes de la peur. Et pourquoi pas, trouver un médicament contre l’oubli… Par Monica Chhor et Manal Lammari (promotion 2013).
Jusqu’à présent, l’imagerie fonctionnelle cérébrale avait permis d’observer in vivo les variations des activités électriques et des flux sanguins dans le cerveau. Elle avait ainsi rendu possible la localisation des zones cérébrales activées lors de processus cognitifs. Cette technique permettait cependant de ne mettre en avant que la localisation des zones stimulées et non la manière dont elles étaient activées. Une nouvelle étude réalisée par une équipe de chercheurs internationale s’est intéressée plus particulièrement à la mémorisation de la peur et a pu apporter un élément de réponse concernant le processus d’encodage.
La peur est un état émotionnel généralement créé en présence d’un danger, qui se traduit par des réactions psychologiques et physiques. Lors d’un évènement traumatisant, notre cerveau entre dans un processus de mémorisation en faisant correspondre cet événement au souvenir de la peur.
Des neurones de la peur ?
Une équipe internationale de neuroscientifiques, dont un français du CNRS, a réussi à identifier plus précisément les neurones activés lors de la mémorisation de la peur. Leurs travaux publiés dans la revue Science se sont d’abord basés sur une première expérience réalisée en 20071 chez des souris. Ces scientifiques étaient déjà parvenus à marquer des neurones qui s’activaient lors de la mémorisation de l’écoute d’un son associé à un choc électrique. En effet, ils ont injecté dans l’amygdale latérale des souris un vecteur contenant un gène qui augmente la synthèse de la protéine CREB. Cette protéine induit la formation ou le renforcement de nouvelles synapses entre les neurones lors de la mise en mémoire à long terme d’un événement. Après dissection des souris, les chercheurs constatèrent au travers d’analyses que les neurones en question s’activaient plus que les autres lors de l’apprentissage mais aussi lors de l’audition du son.
En 20092, l’équipe a repris cette expérience en y ajoutant une nouvelle étape. Cette étape consistait à introduire dans le génome des souris une «construction génétique», c’est-à-dire une juxtaposition du gène de la protéine CREB avec celui d’une protéine fluorescente et d’un dernier rendant ces neurones sensibles à la toxine de la diphtérie. Après la phase de conditionnement, les chercheurs ont ensuite détruit les neurones surproduisant la protéine CREB, grâce à l’injection de la toxine diphtérique. Puis, ils ont de nouveau soumis ces souris au son effrayant ultérieur, ces derniers ne réagissaient alors plus. Les scientifiques en ont donc conclu que c’était en réalité les neurones surproduisant la protéine CREB qui gardaient l’empreinte d’une peur dans la mémoire.
Cette découverte démontre que lors d’un événement traumatisant, les neurones secrétant la protéine CREB permettent la mémorisation de la peur et donc la stimulation de la zone de l’amygdale latérale. L’avancé des recherches en neurosciences a donc permis d’apporter un début de réponse dans la compréhension d’un des nombreux processus biologiques qui animent le cerveau. Reste à comprendre ce qui provoque, dans les conditions naturelles, la sélection de certains neurones pour participer à la mémorisation d’un événement mais aussi à expliquer la variabilité de concentration de la protéine CREB d’un neurone à l’autre.
Traiter la phobie
À long terme, cette découverte pourrait permettre de développer des traitements capables d’effacer des événements traumatiques ou anxiogènes de façon sélective. Ces traitements concerneraient notamment des personnes victimes d’un stress post-traumatique lié à un accident grave ou à un attentat, mais aussi les phobiques qui ne bénéficient aujourd’hui que de traitements psychothérapeutiques, tels que l’hypnothérapie, la prise d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs.
Cette étude n’en est qu’à son stade expérimental et les éventuels traitements ne sont pas encore développés. Néanmoins, nous pourrions nous poser la question du droit de modifier l’esprit du patient. D’après Charles Darwin, les émotions seraient un héritage de nos ancêtres, leur mémorisation serait indispensable à l’adaptation dans le milieu. En effet, les émotions se sont développées en réponse à différentes situations récurrentes, ces réactions d’abord volontaires sont devenues au fil des générations, innées et réflexes. Se rappeler de situations dangereuses permet alors de changer ou d’adapter son comportement si celles-ci se reproduisent dans le futur.
Nous pourrions aussi penser que l’identité de la personne est définie par ses souvenirs, les modifier ne reviendrait-il donc pas à modifier la personne ? Il serait utile de débattre sur la nécessité ou non de conserver les souvenirs traumatisants qui désignent une expérience de violence hors norme dont la perception peut être très différente d’une personne à l’autre. Comment les patients nécessitant ce recours à l’effacement de souvenirs seraient alors sélectionnés ? Ce n’est qu’après avoir éclairci ces différentes questions d’éthique, incitant à la prudence, qu’il sera possible de penser à un éventuel « médicament de l’oubli ».
Pour comprendre l’encodage des émotions, deux disciplines de neuroscience se sont développées, puis améliorées, grâce à l’imagerie fonctionnelle cérébrale : la neuroscience affective et la neuroscience comportementale.
1 – Jin-Hee Han, «Neuronal competition and selective during memory formation», Science, 20 avril 2007
2 – Jin-Hee Han, «Selective Erasure of a Fear Memory», Science, 13 mars 2009