Une bactérie pour lutter contre les marées noires

Pour le traitement des pollutions, une équipe de chercheurs européens se penche sur l’Alcanivorax borkumensis, qui se nourrit d’hydrocarbures.

Par Romain Joblin, étudiant à Sup’Biotech.

Des millions de tonnes d’hydrocarbures sont déversées chaque année dans les océans. Une petite part provient de suintements de gisements naturels. La plus grande partie doit cependant être imputée à l’activité humaine. Il existe quelques moyens de lutte contre les marées noires, mais ceux-ci restent souvent coûteux et difficiles à mettre en œuvre. Depuis peu, plusieurs équipes de chercheurs, dont une allemande, se penchent sur les bactéries se nourrissant d’hydrocarbures, les hydrocarbonoclastes. Parmi elles on trouve Alcanivorax borkumensis : une bactérie marine pour laquelle les hydrocarbures sont la source majeure de carbone et d’énergie. Ces derniers lui permettent donc de se multiplier. Si bien qu’elle est le microorganisme dominant dans les eaux polluées par les hydrocarbures. C’est ce qui en fait un candidat de choix pour le traitement des pollutions par des procédés biologiques.

maréenoire4.jpgUne équipe de chercheurs européens a décrypté récemment le génome de cette bactérie, appartenant à la famille des protéobactéries. Cette découverte permet de comprendre les mécanismes qui amènent A. Borkumensis à devenir l’espèce majoritaire dans les eaux contenant de grandes quantités d’hydrocarbures. Ceci en décryptant précisément les systèmes enzymatiques mis en jeu, ainsi que les produits du métabolisme.

Grâce à ses caractéristiques génétiques, elle peut non seulement dégrader une gamme extrêmement large d’hydrocarbures mais elle produit également des surfactants1 biologiques, qui contribuent à émulsifier la solution aqueuse, ce qui permet une meilleure pénétration de l’oxygène dans l’eau polluée. Il est en effet nécessaire d’avoir un apport important d’oxygène pour permettre aux enzymes des hydrocarbonoclastes de remplir leur fonction en dégradant les hydrocarbures. Cette dégradation est rendue possible par trois enzymes, codées par le gène AlkB, plus spécifiquement AlkB1. De plus, des chercheurs allemands ont identifié un système opéron, c’est-à-dire que les gènes codant pour les enzymes et les gènes codant pour leurs régulateurs sont contigus, ce qui permet une bonne régulation du métabolisme.

Le métabolisme des alcanes (hydrocarbures), décrit par ces mêmes scientifiques, consiste en une simplification des chaînes hydrocarbonées lourdes en acides gras. Ces acides gras subissent ensuite une β-oxydation classique qui produit de l’acétyl-CoA. Ce dernier est alors transformé en énergie et en carbone dans le cycle de Krebs2 .

L’avantage indéniable d’A. Borkumensis est qu’elle s’adapte facilement à un grand nombre de milieux présentant des paramètres totalement différents, notamment en termes de salinité de l’eau et de concentration en nutriments. Les nutriments, tels que le phosphate et l’azote sont en effet des facteurs limitants pour l’élimination des hydrocarbures. Les milieux marins pollués par les hydrocarbures sont effectivement pauvres en éléments nutritifs. A. Borkumensis peut compter sur des transports de nutriments particulièrement efficaces, permettant une bonne absorption de ceux-ci et favorisant ainsi le métabolisme.

La bactérie se développe naturellement en biofilms3, ce qui lui confère des propriétés de protection, notamment contre les ultraviolets et les agents pathogènes. Ces biofilms permettent aussi une meilleure pénétration du dioxygène, un bon échange de nutriments entre les bactéries et des échanges génétiques permettant l’adaptation rapide aux stress extérieurs. Concrètement, la bactérie se développe à l’endroit où se rencontrent l’eau et les hydrocarbures et crée son biofilm dans cette niche. Elle peut par ailleurs détoxiquer des composés tels que l’arséniate, le mercure, le cuivre et d’autres métaux lourds, qui sont souvent retrouvés dans les zones contaminées par les hydrocarbures.

L’omniprésence d’A. Borkumensis à travers le monde reflète sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes tant en termes de salinité que de climat dans différents environnements. De plus, sa présence en petites quantités dans les zones non polluées indique qu’elle n’a pas besoin des hydrocarbures pour survivre mais qu’elle a bien une autre voie métabolique. Une équipe de chercheurs japonais a étudié le mécanisme qui permet la dominance d’A. Borkumensis dans les milieux souillés. Il apparaît qu’elle n’est pas la première à se développer mais qu’elle devient majoritaire après le troisième jour d’exposition aux hydrocarbures. Durant les trois premiers jours, d’autres hydrocarbonoclastes ont été observées mais elles ont cédé leur place à la bactérie dominante car elles ne sont pas dotées de systèmes aussi complets qu’Alcanivorax.

A. Borkumensis possède donc un potentiel naturel intéressant dans l’optique de la bioremédiation des hydrocarbures. Dans un premier temps, elle pourrait être appliquée aux accidents pétroliers. Mais il existe aussi de nombreuses autres applications potentielles, comme le traitement des rejets industriels, le nettoyage de cuves, des résidus déposés sur les bâtiments. A. Borkumensis comptera donc certainement dans les nouveaux traitements dépolluants.

1 Surfactant : Substance abaissant la tension superficielle de l’eau, permettant ainsi une meilleure pénétration du dioxygène.

2 Cycle de Krebs : Cycle permettant la transformation de l’acétyl-CoA en carbone + énergie.

3 Biofilm : Ensemble de microorganismes emprisonnés dans une matrice de polysaccharides.

Sources :

Julia S. Sabirova, Manuel Ferrer, Daniela Regenhardt, Kenneth N. Timmis, Peter N. Golyshin, « Proteomic Insights into Metabolic Adaptations in Alcanivorax borkumensis Induced by Alkane Utilization », Journal of Bacteriology, June 2006, pp. 3763-3773

Rainer Kalscheuer, Tim Stoveken, Ursula Malkus, Rudolf Reichelt, Peter N. Golyshin, Julia S. Sabirova, Manuel Ferrer, Kenneth N. Timmis, Alexander Steinbuchel, « Analysis of Storage Lipid Accumulation in Alcanivorax borkumensis: Evidence for Alternative Triacylglycerol Biosynthesis Routes in Bacteria », JOURNAL OF BACTERIOLOGY, Feb. 2007, pp. 918-928

 

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