La phagothérapie : alternative à l’antibiothérapie ?

Le jeudi 31 janvier, Sup’Biotech, en partenariat avec GEEPhage et Biofutur, organisait le premier forum sur l’utilisation des bactériophages, à l’Auditorium de l’Institut Montsouris (Paris 14e). Lors de cette journée de conférence et de débats, les différents acteurs du secteur (chercheurs, professionnels de la santé, industriels, patients, juristes…) ont pu échanger sur cette discipline encore mal connue en France.

En préambule, Vanessa Proux, directrice de Sup’Biotech, a rappelé l’implication de l’école dans toutes les pratiques émergentes (ou dans ce cas ré-émergentes) des sciences de la vie. Aussi, les perspectives de développement à venir des bactériophages dans le domaine de la santé la concernent directement. Par ailleurs, elle a insisté sur le rôle de Cyprien Verseux (Sup’Biotech promotion 2013), étudiant travaillant sur les virus bactériophages depuis 2010, dans l’organisation de cette rencontre.

Le docteur Olivier Patey, co-organisateur de la journée et chef du service de médecine interne, maladies infectieuses et tropicales du Centre Hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, a ensuite pris la parole en rappelant que, bien que la phagothérapie ait été découverte à la fin des années 1910, elle reste largement méconnue en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis, alors qu’elle semble être une alternative ou un traitement complémentaire efficace aux antibiotiques. Aussi, la tenue d’un forum tel que celui organisé le 31 janvier doit permettre une évangélisation de la recherche en phagothérapie et stimuler le pouvoir public et les industriels.

Qu’est-ce que la phagothérapie ?

La première intervention de la journée, par le docteur Alain Dublanchet, médecin biologiste et infectiologue à l’Hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, revient sur la définition et l’historique de l’utilisation des bactériophages. Les bactériophages sont une catégorie de virus infectant certaines bactéries. Quand un de ces virus (ou phages) attaque une bactérie, après une incubation oscillant entre 30 minutes et une heure, 50 à 100 nouveaux phages en sont expulsés après destruction de sa membrane plasmique. De fait, les phages sont partout dans la nature, là où il y a des bactéries. La communauté scientifique estime le nombre de phages différents entre 1031 et 1032. A l’heure actuelle, moins de 10 % d’entre eux sont connus.

On attribue la découverte du principe de bactériophagie aux alentours de 1915-1917. Félix D’Hérelle, biologiste franco-canadien effectuant ses recherches à l’Institut Pasteur, multiplie les publications sur le sujet. Les différentes épidémies éclatant dans les années 1920 (peste bubonique, choléra) conduisent le chercheur à intensifier ses travaux. En 1928, il éradique une épidémie de choléra en Inde grâce à la première application massive de la phagothérapie.

La recherche en phagothérapie se développe à l’échelle mondiale. Cependant, avec la mort de Félix D’Hérelle en 1949 et la montée des hostilités vis-à-vis de la discipline en faveur des antibiotiques (largement promus après la Seconde Guerre mondiale), les phages tombent en désuétude aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest, conduisant à une perte de savoir-faire. Mais pas dans le bloc soviétique. Avec la chute du Rideau de Fer et la résistance croissante des bactéries aux antibiotiques, les publications scientifiques occidentales se sont réintéressées à la phagothérapie. Les centres de recherche de Wroclaw (Pologne) ou Tbilissi (Géorgie), à la pointe dans le domaine, attirent de plus en plus un tourisme médical venant d’Occident, où les traitements phagothérapiques ne sont officiellement pas utilisables.

Pourquoi réintroduire la phagothérapie ?

Il y a pourtant d’importants enjeux derrière une éventuelle réhabilitation de la phagothérapie en Europe et aux Etats-Unis. Le boom des antibiotiques, dans les années 1950, a conduit à un phénomène de résistance croissant des bactéries à ces remèdes. Face à ce qui pourrait devenir un problème de santé publique majeur, les bactériophages semblent être une solution appropriée. Cependant, le manque de financement de la recherche par les grands industriels du médicament ainsi que l’absence de réglementation (qui empêche une éventuelle commercialisation des phages en pharmacie) ralentissent la recherche. Aussi, les associations de patients en appellent à la citoyenneté des grands groupes pharmaceutiques – dont l’image a pu être ternie au cours des années passées – afin qu’ils investissent d’avantage dans la recherche en phagothérapie.

L’émergence des phages sur le marché du médicament pourrait par ailleurs changer radicalement le paradigme de l’industrie pharmaceutique, de la même manière que l’industrialisation et la mécanisation l’ont changé il y a plus de 60 ans. En faisant de plus en plus appel aux biotechnologies, le secteur de la santé et les pratiques pharmaceutiques évoluent. Ce nouveau contexte pourrait permettre à la phagothérapie de se développer plus efficacement. Cependant, avant d’en arriver là, une multitude de conditions doivent être atteintes. Les phages sont des êtres vivants : en tant que tels, ils ne sont pas brevetables et représentent donc peu d’intérêt pour les industriels. Dans le même ordre d’idées, de nombreux blocages administratifs et juridiques entravent la progression de la recherche et l’éventualité d’une commercialisation de médicaments à base de phages.

La recherche avance, mais beaucoup de chemin reste à parcourir, d’abord pour que le grand public prenne connaissance de cette alternative aux antibiotiques, ensuite pour que les pouvoirs publics facilitent le développement de la phagothérapie, enfin pour que les industriels investissent dans le domaine.

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