Les biotechnologies : un espoir pour changer le monde 2/2
Pour le lancement officiel de son livre « Biotechnologies, les promesses du vivant » (FYP Éditions) qui donne la parole à une trentaine d’experts sur autant de thématiques différentes, Sup’Biotech a organisé une grande conférence le jeudi 10 décembre 2015 dans les locaux du campus numérique & créatif IONIS Marais – République (Paris 11e). Plus de 150 personnes, dont de nombreux professionnels et scientifiques, étaient ainsi réunies pour (re)découvrir les nombreuses avancées actuelles et futures que permettent les biotechnologies.
Retrouvez la première partie de l’événement
Pour la deuxième table-ronde de la soirée, Sup’Biotech invite un panel composé de Jacques Biot, président de l’École polytechnique, Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et expert de la transgénèse animale, François Képès, directeur de recherche à l’Institute of Systems and Synthetic Biology (iSSB) au Genopole, Brigitte Onteniente, PDG de Phenocell et Jean-Christophe Pagès, président du Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies. Le thème choisi ? L’éthique, une question fondamentale quand il s’agit d’aborder la modification du vivant.
Certaines pratiques montrées du doigt
L’approche innovante portée par les biotechnologies entraîne parfois des oppositions virulentes. Ainsi, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont souvent eu mauvaise presse, à tort, à en croire Jean-Christophe Pagès pour qui la question de l’éthique consiste à se demander « quelles sont les connaissances auxquelles on voudrait s’interdire d’accéder. Les OGM ont 20 ans d’existence et sont utilisés dans plusieurs registres. Grâce à eux, qu’ils soient utilisés pour les plantes, les micro-organismes ou les animaux, un grand nombre d’avancées a été obtenu dans de nombreux domaines des sciences et de la biologie, avec également la production de vaccins, d’hormones, de plantes qui ont des qualités et caractéristiques spécifiques. »
Jean-Christophe Pagès
Le clonage a aussi droit à son lot de contestations alors que son application, encore mal maîtrisée, peut être à l’origine de belles promesses. « Le clonage est lié à la transgénèse en pratique, rappelle Louis-Marie Houdebine. Avec lui, on peut déprogrammer et reprogrammer des cellules pour obtenir des pseudo-embryons non issus de la fécondation, qui peuvent ensuite se développer, même difficilement. Il est utilisé par exemple aux États-Unis pour cloner des animaux morts, comme les taureaux. Avec lui, on peut imaginer sauver des races et espèces en voie de disparition. En matière d’éthique, le cas du clonage est justement très intéressant, les cellules mal reprogrammées engendrant de nombreuses morts d’embryons mais aussi un possible mal être des animaux. »
Louis-Marie Houdebine
La réglementation nécessaire
Pour Brigitte Onteniente, PDG de Phenocell, une entreprise qui développe des cellules souches (la cellule à l’origine de toutes les autres cellules dans l’organisme) pluripotentes au service des maladies rares, la question de l’éthique est centrale mais ne doit pas empêcher la réalisation de belles avancées. « En utilisant des cellules malades et du criblage, on va plus facilement et efficacement réussir à identifier les molécules entraînant une réponse et donc développer un nouveau traitement. Cela permet une baisse significative du coût du médicament et une augmentation de l’efficacité des solutions thérapeutiques. Pour notre travail, les réflexions éthiques existent donc à tous les niveaux. Par exemple, nous utilisons des cellules issues du don de personne : cela ne peut être possible qu’avec un consentement écrit extrêmement réglementé et validé par un comité de protection des personnes. L’encadrement est l’élément clé. »
Brigitte Onteniente
Bientôt la maturité ?
Si la question de l’éthique est aussi présente, cela s’explique aussi par « le jeune âge » des biotechnologies qui, malgré un essor considérable, constituent encore une discipline émergente. « Il faut se rappeler que les biotechnologies ont vraiment émergé il y a 10 ans, souligne François Képès. Il ne s’agit pas encore d’une ingénierie mature, comme le sont l’électronique, l’informatique ou la chimie de synthèse, et il y a encore beaucoup de travail à faire pour se rapprocher de cette maturité. Sur le plan fondamental, il faut ainsi augmenter un socle d’applications et de méthodes pour tous les secteurs des biotechnologies (santé, environnement, agro, etc.). »
François Képès
Pour éviter les dérives et permettre aux biotechnologies de grandir de la meilleure des façons, l’éthique doit très tôt s’inviter dans la formation des futurs acteurs de ce domaine. C’est ce que fait Sup’Biotech mais aussi l’École polytechnique dirigée par Jacques Biot. « Il faut allier sciences et consciences, estime ce dernier. Dans notre école, on intègre les questions d’éthique à toutes les sciences, du nucléaire aux biotechnologies. Notre concept est que l’innovation est à l’origine de la prospérité. Nous avons également une chaire philosophique depuis de très nombreuses années, aujourd’hui dirigée par l’auteur de Le Temps de la consolation, Michaël Foessel. On doit voir comment l’innovation thérapeutique se transforme en valeur pour la société et en valeur économique. L’activité humaine est là pour créer de la valeur, pour la société, pour les praticiens, pour les patients. L’éthique économique se pose, pour le prix des traitements, mais aussi l’éthique concernant la manière dont on traite les patients : la médecine et la chirurgie personnalisées dont je suis un fervent défenseur sont une bonne réponse, l’ancienne pharmacie consistant à traiter beaucoup de patients pour rien. Il faut toujours se rappeler que tout ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique. »
Jacques Biot
2030, la nouvelle ère des biotechnologies
Après cette discussion passionnante et une séance de questions-réponses avec le public, deux Anciens de Sup’Biotech ont fait entendre leur voix : Philip Hemme (Sup’Biotech promotion 2014), cofondateur de LaBiotech.eu et Cyprien Verseux (promo 2013). Si le second, actuellement en mission pour la Nasa, avait laissé un message audio pour parler de ce que pourront apporter les biotechnologies dans le cadre de la conquête spatiale, le premier était bel et bien présent pour un exercice difficile : tenter de prédire l’avenir en donnant trois horizons où les biotechnologies peuvent avoir un gros impact d’ici 2030. « Il y aura d’abord la lutte contre le cancer grâce à l’utilisation du système immunitaire humain. Les financements sont importants désormais et on ne parle plus de prolonger la durée de vie des patients de quelques mois mais de rémissions complètes ! D’ici 15 ans, la possibilité de voir devenir mainstream ces nouveaux traitements sera grande. Il y a ensuite l’émergence toujours plus forte d’alternatives crédibles au pétrole. Avec les bactéries et les micro algues par exemple, on risque fort d’obtenir des rendements et des coûts comparables au prix du baril actuel – si le dumping de certains pays s’arrête, bien évidemment. Enfin, il y a aussi l’arrivée de la biotechnologie personnelle, comparable à l’évolution de l’ordinateur personnel qui s’est popularisé et a donné naissance à un vrai changement de nos modes de vie. De plus en plus de gens, biologistes et autres, cherchent à réfléchir aux futurs usages des biotechnologies. Bientôt la biologie sera aussi en mode Do It Yourself ! » Un beau message d’espoir qui conclut parfaitement une conférence tournée vers l’avenir.
Philip Hemme