Le 21e siècle, le siècle de l’ADN ?
La richesse de l’ADN n’aura de cesse de nous étonner. C’est sans doute ce qu’ont dû se dire les participants de la dernière conférence interprofessionnelle de Sup’Biotech. Organisée en ligne ce mardi 24 novembre 2020 et nommée « Le 21e siècle, le siècle de l’ADN ? », cette dernière donnait en effet la parole à des intervenants issus de différents secteurs pour parler des incroyables avancées et innovations permises par ces trois petites lettres si familières aux oreilles des biologistes comme des amateurs de séries télévisées policières.
« Ce 21e siècle s’est ouvert avec le séquençage du génome humain, rappelle la journaliste Anne Pezet en préambule. 20 après, beaucoup de nouvelles connaissances se sont ajoutées, sans manquer de poser à leur tour d’autres questions. Toutefois, on retrouve l’ADN dans énormément de secteurs industriels et d’autres domaines : de la santé à l’agroalimentaire en passant par l’art. Pour certains, l’ADN est un matériau, un support d’information, voire même un code barre. Et il donne souvent naissance à des projets inattendus. »
Les trois révolutions de l’ADN
Des projets autour de l’ADN, Anne Jouvenceau en connaît un grand nombre. Mais avant d’en mentionner quelques-uns, la directrice générale adjointe du Genopole tient d’abord à rappeler les grandes étapes scientifiques autour de l’ADN. « C’est un vaste et grand sujet tant l’ADN permet d’ouvrir le champ du possible depuis la découverte de sa structure en 1953 par Francis Crick et James Watson. Depuis, l’ADN a connu trois révolutions. Une première intervient dans les années 1960, avec la naissance de la génétique moléculaire et du génie génétique, faisant alors de la biologie une science explicative. La deuxième survient à partir des années 1980, au moment où la biologie devient une science représentant un intérêt industriel et économique majeur. Une avancée symbolisée par l’exemple de l’insuline : au départ d’origine animale et comportant des risques de rejets chez les patients, elle a été remplacée par une insuline humaine synthétique créée par l’insertion d’un gène humain à la bactérie Escherichia coli. Cette même période verra la naissance de petites entreprises comme Gilead, Amgen ou encore Celgene, devenues depuis de très grandes entreprises. Enfin, la troisième révolution a débuté dans les années 1990 et se poursuit aujourd’hui, avec la naissance de la génomique, une biologie à grande échelle. Une nouvelle ère. »
Selon Anne Jouveauceau, les avancées sont particulièrement impressionnantes aujourd’hui, notamment grâce à l’apport de la robotique et de l’informatique. Ainsi, s’il a fallu un budget de 3,5 milliards de dollars et 13 ans de travail pour parvenir au premier séquençage du génome humain, ce dernier se fait désormais entre 48 et 72h, pour un montant de 1 000 dollars. Mais elles donnent surtout lieu à une meilleure compréhension du vivant à bien des égards, la génomique étant désormais à l’origine d’innombrables projets aussi utiles que passionnants… et parfois particulièrement ambitieux. « En 2008, la Communauté européenne a lancé un projet visant à identifier les 100 000 milliards de bactéries composant notre flore intestinale. Un énorme travail pour comprendre ces communautés microbiennes ! Les premiers résultats ont montré que, comme pour les groupes sanguins, les individus se répartissent en trois grands groupes selon les bactéries qui prédominent dans leurs intestins, indépendamment du fait de leur âge, de leurs origines ou de leur situation géographique. Ces éléments sont prometteurs pour plus tard : obtenir de meilleurs traitements ciblant certaines pathologies. Dans un autre registre, on peut également citer le lancement du plan national France Médecine Génomique 2025 par notre pays en 2016. Son objectif est de parvenir à séquencer pus de 100 000 génomes de patients atteints de maladies génétiques rares ou de cancer. C’est très important quand on sait que plus de 8 000 maladies rares sont d’origine génétique et que l’efficacité ou les effets secondaires des médicaments contre certaines maladies communes (cancer, diabète, Alzheimer, maladies cardio-vasculaire…) sont commandées par le gène ! »
Au nom de votre ADN, je vous arrête
Si l’ADN peut servir à sauver des vies, il peut également servir à arrêter ceux qui les ôtent. C’est ce qu’explique Frédéric Brard, lieutenant-colonel à l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) et chef du Service Central de Préservation des Prélèvements Biologiques (SCPPB). Affaires criminelles, recherche de personnes disparues, identification de personnes… les analyses génétiques sont même incontournables pour la pratique judiciaire. « Si l’aveu a été longtemps la reine des preuves, ce n’est pas le cas sur le plan scientifique : il est considéré comme fragile et d’une fiabilité relative. La science permet, elle, de fournir des preuves matérielles irréfutables. »
En ce qui concerne l’identification humaine, deux évolutions majeures sont à noter. « Il y a d’abord l’empreinte digitale d’Alphonse Bertillon à la fin du 19e siècle, puis l‘empreinte génétique d’Alec Jeffreys en 1984 ». Mais pour cette dernière, il faut des traces biologiques (urine, salive, sueur, cheveux, os, dents…) qui partagent plusieurs points communs : elles sont en faible quantité, d’une qualité moyenne et facilement dégradables… « C’est ce qui rend le travail du biologiste difficile », affirme le lieutenant-colonel. Une fois prélevé sur la scène de crime, puis mis sous scellés, l’échantillon est envoyé à un laboratoire (l’IRCGN, ou alors des laboratoires régionaux de la police nationale ou des laboratoires privés).
En laboratoire, les experts s’intéressent alors aux régions polymorphes de l’ADN et de petites tailles. « Polymorphes pour discriminer au maximum les individus et permettre leur identification. De petites tailles pour analyser des échantillons partiellement dégradés. » Il suffit alors d’une journée pour généralement établir un profil génétique, du prélèvement à l’édition du rapport. Cependant, de nouveaux appareils rapides d’analyse peuvent réduire ce temps à deux heures. « On envisage de pouvoir utiliser ces machines sur le terrain, au plus près de la scène de crime, afin d’augmenter les capacités d’analyse à l’avenir. » Ensuite, quand le profil génétique est établi, les enquêteurs le comparent au profil de suspects ou à ceux déjà enregistrés dans le FNAEG, la base nationale comprenant plus de 5 millions de profils d’individus identifiés. « C’est là qu’intervient le risque de coïncidence fortuite, c’est-à-dire le risque qu’un individu pris au hasard ait de façon fortuite le même profil générique que celui du suspect ou d’une trace prélevée sur la scène de crime. Et si l’on ne trouve rien, on peut faire des comparaisons avec les bases de données internationales de 22 pays partenaires – ce qui représente 7 millions de profils supplémentaires environ – ou faire des recherches en parentalité des profils partageant 50 % d’analogies de façon à trouver un lien familial pour remonter à l’auteur de la trace. Enfin, dans certains pays, on peut aussi avoir recours à des bases de données privées, comme c’est le cas notamment aux États-Unis grâce à l’engouement actuel autour de la généalogie génétique, interdite en France. Ces bases sont un réservoir extraordinaire. »
L’usage de l’ADN ne s’arrête pas là dans la lutte contre la criminalité. Depuis plusieurs années sont apparus des tests prédictifs qui permettent de déterminer des caractéristiques physiques et d’établir « des portrais robots génétiques » via des kits d’analyse. Couleurs des cheveux et des yeux, implémentation capillaire, origine ethno-géographique, présence de tâche de rousseur, forme du visage… Les détails sont nombreux et très utiles pour les enquêteurs. « On s’approche petit à petit vers une très grande fiabilité que les croquis faits à partir des témoignages. Aujourd’hui, nous arrivons également à distinguer de vrais jumeaux ! Enfin, des travaux d’épigénétiques offrent aussi de nouvelles perspectives, avec des informations sur le mode de vies des individus. »
L’ADN, une question aussi de couleur et de matière
Les possibilités autour de l’ADN n’inspirent pas que les fins limiers de la Gendarmerie. Les étudiants de Sup’Biotech y sont logiquement également très sensibles. C’est le cas de Clément Goncalves, Béatrice Kovarik, Yonna Lauruol, Laurianne Michel, Audrey Ullmo, Eve Vassil et Alexis Vindret (promo 2022), tous étudiants en 4e année et membres de l’équipe à l’origine de Chroma Prima, un SBIP… haut en couleurs ! « Chroma Prima vise à produire le rouge cochenille, un colorant bien souvent d’origine animale, à partir d’une biosynthèse d’un OGM », précise l’équipe.
Aussi appelé acide carminique, le rouge cochenille est principalement extrait au Pérou via le broyage de cochenilles, des petits insectes qui se reproduisent et grandissent en se nourrissant de la sève des cactus. Problème : l’impact environnemental de cette culture, qui nécessite des centaines de milliers d’hectares, est conséquent. Pire : son bilan carbone est aussi très élevé, la France en étant le premier importateur mondial. « Il est utilisé dans une très grande majorité de produits ; tous ceux de couleur rouge en magasin ont de grandes chances d’avoir recours à ce colorant, des bonbons aux boissons en passant par les produits cosmétiques et la viande ! » Enfin, sur le plan de la santé, les résidus liés au broyage contiennent énormément d’allergènes. « La synthèse chimique existe, mais elle est coûteuse et polluante, donc pas intéressante. D’où la nécessité d’obtenir un colorant écologiquement responsable, non allergène et pas issu d’animaux ! » C’est là qu’intervient donc Chroma Prima, en utilisant des cellules génétiquement modifiées permettant ensuite une production du colorant en bioréacteur. « Cela représente plusieurs avantages, comme l’implémentation d’une production locale par les usines, des gains d’espace, une baisse de la pollution due aux transports, la possibilité pour des produits alimentaires et cosmétiques de devenir vegans et hypoallergéniques, un meilleur contrôle de la production – ce qui n’est pas possible avec une culture classique confrontée aux aléas climatiques… »
Si le pari de Chroma Prima devient un jour réalité, peut-être qu’il pourra intéresser Dominique Peysson pour ses futures œuvres. Chercheuse devenue artiste plasticienne, cette dernière a pour particularité de concevoir l’ADN avant tout comme une matière première. Une approche surprenante qui lui avait notamment permis d’être à l’honneur de l’exposition « ADN en plastique » à l’Institut Imagine en septembre 2019. « En tant que scientifique, mon domaine de recherche portait sur les matériaux performants, détaille cette artiste atypique. C’est à partir de ces connaissances que j’ai déployé ma pratique artistique. » Une pratique qui s’inscrit dans une école de pensée résolument moderne. « Dans l’histoire de l’art, on se retrouve habituellement davantage face à une histoire des formes plus que face à une histoire de la matière. Et puis, avec l’arrivée de l’art moderne et de l’art contemporain, la matière est devenue plus qu’une matière première : elle est désormais digne d’un certain intérêt en tant que telle. Et si l’on veut connaître la matière, on ne peut que décupler les possibilités qu’elle nous offre. »
Avec Dominique Peysson, l’ADN devient alors tangible, concret, aux yeux et parfois au touché des curieux, grâce à ses sculptures conçues à partir d’ADN extraits donnant lieu à un matériau original, à la fois très poreux et très résistant. « Quand j’étais scientifique, j’ai travaillé sur les matériaux plastiques. Or, le plastique est un matériau constitué de chaînes moléculaires très longues. Donc, l’ADN, c’est du plastique : la plupart des gens ignorent que l’ADN représente 0,4 % de notre poids et qu’il est, de plus, possible de l’extraire de manière extrêmement simple ! » Preuve s’il en est que l’ADN n’a pas fini de nous étonner et de nous émerveiller. Et nul doute que les ingénieurs de Sup’Biotech sauront en faire bon usage pour de futures innovations !
Des sculptures de Dominique Peysson, faites à partir d’ADN