Sup’Biotech engagé dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer
Associé au CEA, le laboratoire CellTechs de Sup’Biotech travaille depuis de nombreuses années à la compréhension des maladies neurodégénératives et en particulier de la maladie d’Alzheimer. Utilisant des cellules souches pour créer des « mini-cerveaux » (ou organoïdes cérébraux) afin de pouvoir un jour trouver des solutions préventives ou thérapeutiques, le laboratoire peut compter sur plusieurs soutiens, à commencer par la Fondation pour la Recherche Médicale.
Avec près de 900 000 personnes touchées en France et 35 millions de personnes dans le monde en 2019, la maladie d’Alzheimer est « la première des maladies qu’on appelle « démences » » comme l’explique Pierre-Antoine Vigneron, enseignant-chercheur au CellTechs depuis septembre 2020 et justement spécialisé sur cette maladie découverte officiellement en 1906 par le médecin allemand Aloïs Alzheimer. « Par « démence », on signifie que ces maladies s’accompagnent d’une perte de mémoire… et Alzheimer est celle qui touche le plus de personnes dans le monde, poursuit le scientifique. C’est un problème de santé publique majeur parce que nous vivons dans une société où la population est vieillissante et qu’il n’y a aucun remède ni aucun traitement curatif. Il y a évidemment quelques traitements qu’on appelle palliatifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent faire reculer le moment fatidique, mais on n’arrive toujours pas à l’arrêter et, surtout, à récupérer toutes les fonctions cognitives perdues : quand elles disparaissent, elles sont irrémédiablement perdues. »
Une pathologie qui ne touche pas que les malades
Si la maladie d’Alzheimer est dramatique pour celles et ceux qui en sont atteints, son spectre de nuisance est bien plus large encore. « La maladie touche aussi beaucoup de monde autour des malades, puisque la famille et les soignants doivent s’occuper d’eux, ce qui représente un gros poids à porter : cela devient d’ailleurs de plus en plus difficile au fur et à mesure que la maladie progresse… » Pierre-Antoine en sait quelque chose car, à l’instar de nombreuses autres personnes, il a également été touché indirectement par cette pathologie. C’est même elle qui lui a donné envie de se lancer dans la recherche. « J’ai toujours voulu travailler en neurosciences, sur le cerveau, et principalement sur la maladie d’Alzheimer parce que ma famille a justement été touchée – ma grand-mère en est décédée, confie-t-il. Ça a été un poids très dur à porter pour mon grand-père… Je souhaitais donc faire ma part de recherche dessus et apporter ma petite pierre à l’édifice. Au fur et à mesure de mes études, j’ai alors découvert des cellules particulières du cerveau, appelées astrocytes, qui m’ont énormément passionné. Plus j’avançais dans mes recherches et plus j’avais envie de travailler sur Alzheimer et ma passion pour les astrocytes. Et puis j’ai trouvé un moyen finalement de faire les deux en travaillant sur le rôle des astrocytes dans la maladie d’Alzheimer. »
Chercheur au CellTechs, Pierre-Antoine Vigneron est un spécialiste de la maladie d’Alzheimer / Crédit : CellTechs
Presque autant de formes de la maladie que de malades
C’est donc au sein de CellTechs, sous l’égide de Frank Yates, responsable du laboratoire et directeur de la recherche à Sup’Biotech, que Pierre-Antoine cherche aujourd’hui à lutter contre ce mal particulièrement retors car difficile à retracer. « Il existe de multiples formes de maladie d’Alzheimer, avec presque autant de formes que de patients, souligne le chercheur. On peut tout de même la regrouper en deux grandes catégories. D’un côté, on retrouve les formes génétiques/familiales, qui sont donc héréditaires : si on possède le gène muté, on est sûr d’avoir la maladie d’Alzheimer. Cela représente entre 1 à 5 % des formes de la maladie. Dans ce cas de figure, on comprend pourquoi elle se met en place, à cause de ce fameux gène muté. Vient alors la seconde catégorie, qui représente entre 95 et 99 % des formes et où, finalement, on n’a aucune idée précise de pourquoi elles se déclenchent. »
Les futurs ingénieurs participent aussi
C’est pour élucider ce mystère que les membres du laboratoire CellTechs s’efforcent, jour après jour, à multiplier les expériences et les recherches méticuleuses. Et parmi eux, on retrouve évidemment des étudiants de Sup’Biotech. Héloïse Castiglione (promo 2022) en est un bon exemple puisqu’elle vient d’y terminer son stage de fin d’études. Une expérience qui ne pouvait que satisfaire celle qui, depuis la fin du collège, savait déjà qu’elle voulait faire de la recherche en santé. Une ambition qui s’est confirmée année après année, et notamment à Sup’Biotech : « C’était vraiment l’école que je voulais intégrer ! Et dès le début de mon cursus, je savais que je voulais plus tard m’orienter vers la Majeure R&D et la mineure Santé, mais aussi faire mes stages en fonction. J’avais d’ailleurs déjà pu travailler avec Frank Yates sur d’autres travaux de recherche au sein de l’école, en 4e et 5e années. C’est justement là que j’ai pu découvrir les organoïdes cérébraux, les induced pluripotent stem cells (IPS) et toutes les modélisations justement rendues possibles grâce aux IPS et aux organoïdes, et c’est ce qui m’a vraiment donné envie de continuer dans cette voie. De plus, j’avais déjà pu faire un précédent stage en laboratoire sur une autre pathologie, c’est comme cela que j’en suis venue à collaborer avec CellTechs. Ce stage de fin d’études était donc la suite logique ! » Et si son stage s’est terminé, ce n’est pas encore le cas de son histoire avec CellTechs. « Je vais continuer à y travailler, mais en réalisant à présent une thèse CIFRE, c’est-à-dire une thèse en collaboration avec le laboratoire et une entreprise, se réjouit Héloïse. Cette dernière est l’entreprise NETRI : elle est localisée à Lyon et travaille sur des dispositifs microfluidiques très innovants permettant d’améliorer la culture des organoïdes cérébraux. C’est une alternative à la culture cellulaire classique. C’est donc parfait ! »
Héloïse Castiglione en plein travail au sein du laboratoire / Crédit : CellTechs
Faire revenir dans le temps les cellules
Les IPS que mentionne Héloïse sont ce qu’on appelle les « cellules souches pluripotentes induites ». « C’est le cœur de CellTechs, spécialisé dans l’ingénierie de la pluripotence, précise la jeune chercheuse. Les IPS sont ainsi des cellules qu’on peut différencier en n’importe quel type cellulaire, comme par exemple en cellules neuronales qui nous servent à faire les organoïdes cérébraux qui modélisent le cerveau. » Pierre-Antoine Vigneron va plus loin dans l’explication : « En fait, les IPS sont des cellules qui sont issues de cellules de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou pas encore atteints, mais qui possèdent les mutations et qui vont la déclencher. Généralement, ce sont des cellules qu’on prend directement sur la peau et qu’on soumet à un cocktail de facteurs de transcription pour leur redonner une identité de cellules souches. La cellule souche majeure est contenue dans l’embryon : elle est capable de donner toutes les cellules du corps humain. Aujourd’hui, nous sommes capables de prendre des cellules adultes qui ont déjà accepté une identité particulière et de les faire revenir dans le temps, pour leur redonner un aspect souche, afin qu’elles puissent réadopter toutes les identités du corps humain. » C’est par ce biais que les équipes du laboratoire parviennent à cultiver ces « mini-cerveaux » qui font avancer la recherche.
À gauche, une colonie d’IPS en culture (les cellules souches de départ) / À droite, les gouttes réalisées avec des cellules IPS : c’est la première étape pour générer des organoïdes / Crédit photos : CellTechs
Mini-cerveaux mais gros potentiel
Définitivement innovante, l’utilisation d’organoïdes cérébraux dans la recherche sur les maladies neurodégénératives a, semble-t-elle, de beaux jours devant elle. « Les organoïdes cérébraux prennent de plus en plus d’ampleur dans le domaine de la recherche actuelle puisqu’ils permettent de s’affranchir de plus en plus des modèles animaux, analyse Pierre-Antoine. Nous avons ainsi développé de nombreuses collaborations avec des partenaires académiques intéressés pour utiliser ces organoïdes cérébraux dans le cœur de leurs recherches comme sujets d’études. Nous avons également des partenaires parmi des entreprises : en tant qu’experts organoïdes cérébraux, nous les formons et leur fournissons des organoïdes cérébraux pour mener d’autres recherches. Par exemple, si notre partenaire teste une molécule sur un organoïde cérébral, nous sommes en mesure de dire si c’est efficace ou non, si cela entraîne une réaction ou non. » Même si ces collaborations représentent un axe important de la recherche menée par le CellTechs, le laboratoire travaille également sur des axes qui lui sont propres, à commencer par l’amélioration même du modèle d’organoïdes cérébraux. « En effet, à l’heure actuelle, ce n’est pas encore un modèle parfait et il y a plein de moyens de l’améliorer, tempère le chercheur. Pour obtenir un organoïde cérébral, il faut plusieurs mois de culture ! De fait, nous cherchons à accélérer ce vieillissement pour qu’il devienne un « cerveau adulte » ou plutôt organoïde cérébral mature beaucoup plus rapidement. »
Des organoïdes en culture / Crédit : CellTechs
L’engagement de la Fondation pour la Recherche Médicale
Les activités de CellTechs requièrent donc du temps – on dit souvent, à raison, que la recherche, c’est du temps long –, mais aussi des soutiens et des financements. C’est justement pour cette raison que Jean-Philippe Deslys (SEPIA/CEA) et Frank Yates ont répondu à un appel à projets lancé en 2019 par la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) et axé sur le soutien de la recherche concernant la maladie d’Alzheimer et les syndromes démentiels neurodégénératifs. Une candidature qui a su convaincre la FRM comme le rappelle Valérie Lemarchandel, sa directrice scientifique en charge notamment de la mise en place de la politique scientifique de la fondation : « L’objectif de cet appel à projets était de soutenir des projets cherchant à comprendre les mécanismes fondamentaux de la maladie d’Alzheimer et portés par des équipes pluridisciplinaires. C’est le cas de celui porté par CellTechs, qui réunit une équipe de génomique et une équipe qui s’intéresse depuis toujours au développement du cerveau. » À l’instar des sept autres projets retenus par la FRM à l’issue de cet appel, celui de CellTechs a été sélectionné pour l’excellence de ses équipes de recherche, la pertinence de la question posée et l’originalité du modèle développé. « On voulait vraiment soutenir des projets innovants et originaux, quitte à prendre des risques, et ce que propose CellTechs est un vrai changement de paradigme, soutient Valérie Lemarchandel. En effet, les modèles expérimentaux de la maladie d’Alzheimer ne sont pas tous satisfaisants. Or, les organoïdes cérébraux, qui sont des structures en trois dimensions s’auto-organisant à travers des cellules humaines, permettent de travailler in vitro sur un modèle qui reproduit au mieux ce qui se passe dans le cerveau humain. L’idée derrière tout ça est d’utiliser ces mini-cerveaux pour comprendre les phases précoces, ce qui est très important car, à l’heure actuelle, quand on diagnostique la maladie, il est déjà souvent trop tard et le mal est déjà fait. » Pour arriver à endiguer les mécanismes de la maladie, il faut en effet réussir à comprendre ce qu’on appelle la pathogenèse, soit la création : comment la pathologie se met en place. Un objectif que s’est fixé le laboratoire.
Valérie Lemarchandel, la directrice-scientifique de la FRM / Crédit photo : Julie Bourges
Travailler ensemble pour avancer
Débutée en mars 2020 et étalée sur trois ans, l’aide financière allouée par la FRM aux laboratoires participant au projet s’accompagne d’un suivi régulier de la part de l’organisme. Une confiance qui facilite grandement le travail de Pierre-Antoine, Héloïse et les autres. « La FRM est une association qui est nationalement et internationalement reconnue, avec une très grande ampleur, note justement le premier cité. L’avoir à nos côtés est donc une chance inestimable puisqu’en plus de son soutien financier qui nous permet d’avancer, elle nous donne de la visibilité et apporte à nos recherches encore davantage de crédibilité. » Ce projet, mené en partenariat avec l’ENS Paris-Saclay et le Genoscope, permet aux chercheurs de différentes disciplines de travailler ensemble. « On travaille main dans la main et on fait avancer la recherche, se réjouit Pierre-Antoine. D’ailleurs, ce que j’apprécie aussi avec la FRM, c’est justement son statut d’association : n’importe qui peut lui faire un don et c’est ensuite elle qui redistribue ces dons aux chercheurs. Moi, ça me touche beaucoup. Je me dis il y a des gens derrière ces dons qui nous font confiance, qui veulent que la recherche avance du côté des maladies neurodégénératives, pour eux ou leurs proches. On se sent un peu investi d’une mission par rapport à ces gens-là. » Un avis que partage Héloïse. « C’est hyper important de se sentir soutenus. Si on fait de la recherche en santé sur des maladies, c’est que on se sent concernés et que l’on a envie que ça avance, que des médicaments et des traitements soient trouvés ! » C’est aussi un bon moyen de rester motivé au quotidien dans une aventure qui s’avère longue et minutieuse.
Deux visuels montrant un organoïde où les neurones sont marqués, observé avec le microscope à feuillet de lumière. La première est une vue en 2D « d’une coupe », la seconde est une reconstitution en 3D / Crédit : CellTechs
Chercher, encore et toujours
Ainsi, même s’il reste encore du chemin à parcourir, les chercheurs de CellTechs gardent un optimisme à toute épreuve. « Comme toutes les personnes qui travaillent sur une maladie, une pathologie, on se projette, affirme Pierre-Antoine. À titre personnel, je rêve évidemment de trouver le traitement, le remède. Mais je sais qu’avec une forme d’Alzheimer par patient, c’est quelque chose de très compliqué. » Au-delà du remède, ce but ultime, chaque avancée peut déjà être considérée comme une petite victoire. « Il y a l’aspect traitement mais il y a aussi un aspect préventif. À l’heure actuelle, on sait que la maladie d’Alzheimer se déclenche jusqu’à 20 ans avant l’apparition des premiers symptômes. Donc, si l’on arrive à développer des moyens de diagnostic qui permettent de prévenir une personne pour lui expliquer que, dans 20 ans, le processus va s’amorcer, avec des pertes de mémoire et la mort de neurones, ça nous laissera une fenêtre de tir à cibler durant laquelle on pourrait faire de la prévention et trouver un traitement. » C’est ce qui anime aussi la FRM. « Nous sommes persuadés que la solution viendra de la recherche, estime Valérie Lemarchandel. Il faut absolument financer toutes les pistes de recherche possibles pour se donner un maximum de chance afin d’identifier de nouvelles solutions qui nous permettront d’améliorer les diagnostics, de moduler l’évolution de la maladie, de la ralentir, voire de la guérir. » L’organisme a d’ailleurs, sur les cinq dernières années, financé une trentaine de projets de recherche en lien avec les maladies neurodégénératives, pour un montant total de 9 millions d’euros. Des efforts et des ressources qui, peut-être, permettront enfin un jour de faire un mauvais souvenir de cette maladie qui efface malheureusement les nôtres.