Quelle place pour les biotechnologies dans l’espace ?
Agroalimentaire, énergie, santé… Les biotechnologies sont partout, on le sait. Forcément, avec autant de champs d’application possibles, les sciences du vivant (et de l’infiniment petit) trouvent également leur voie au-delà de la Terre, dans l’immensité de l’espace. Lors de sa dernière conférence interprofessionnelle organisée le 29 novembre 2022, Sup’Biotech s’est justement intéressé à la trajectoire des biotechs au travers des étoiles en invitant plusieurs experts du sujet.
Les biotechnologies dans l’espace pour suivre la santé des astronautes
Pour ouvrir cette conférence spéciale, quoi de plus normal que commencer par un focus sur un projet de recherche de Sup’Biotech touchant à cette thématique ? Nommé « Cerebral Ageing », ce dernier est mené depuis quatre ans par le laboratoire CellTechs de l’école en collaboration avec l’Institut Pasteur et le Centre national d’études spatiales (CNES) avec un objectif : étudier le processus de vieillissement cellulaire et moléculaire lors de longs voyages dans l’espace et ainsi répondre aux interrogations concernant les effets des radiations cosmiques, de la micropesanteur, du stress oxydatif ou encore du confinement sur les astronautes qui se relaient à bord de la Station spatiale internationale (ISS).
Le défi de « Cerebral Ageing » repose sur l’envoi dans l’espace d’organoïdes cérébraux conçus à partir de cellules souches pluripotentes cultivées in vitro en 3D, une biotechnologie dans laquelle est spécialisée CellTechs (notamment pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer ou la toxicologie). Évidemment, un tel challenge nécessite une organisation méticuleuse et un travail de fond. « Le projet a débuté suite à un appel d’offres du CNES destiné à savoir ce qu’il se passe dans le cerveau d’un astronaute, rappelle Frank Yates, directeur de la recherche à Sup’Biotech. Or, pour développer ce projet, il a d’abord fallu comprendre comment on pouvait cultiver des cellules dans l’espace sur l’ISS. C’est ainsi que nous avons découvert l’existence du Space Automated Bioproduct Lab (SABL) construit par le laboratoire BioServe de l’University of Colorado Boulder. »
Les équipes du projet, qui comprend une ancienne élève de l’école, Tara Fournier, maintenant en doctorat à l’Institut Pasteur, ont alors travaillé avec les chercheurs américains pour vérifier si cette solution était bien adaptée à ses organoïdes cérébraux, par exemple en plaçant ces compartiments de culture, appelés BioCell, dans un simulateur de microgravité qui tourne continuellement. « Tout au long de la culture, on a voulu suivre la morphologie des organoïdes et, au final, la culture en BioCell ne semble pas affecter leur croissance, assure Lucie Madrange, assistante ingénieure à Sup’Biotech. Nous avons ensuite réfléchi à une autre question importante, celle du transport de ces organoïdes jusqu’à Cap Canaveral. D’où une autre collaboration, cette fois avec l’entreprise allemande Cellbox qui a développé des incubateurs portatifs nous assurant après tests, la viabilité des cellules transportées sur 48h. »
Les biotechnologies dans l’espace pour préparer les futures explorations…
Aujourd’hui, l’équipe du projet espère pouvoir envoyer ses organoïdes à bord de l’ISS d’ici fin 2023, en espérant que la mission qui les verra décoller ne connaisse pas autant de reports qu’Artemis-1. Pour Miria Ricchetti, directrice de recherche et cheffe de groupe à l’Institut Pasteur, cette expérience, si elle aboutit, ouvrira la porte à d’autres recherches plus poussées, comme la culture dans l’ISS d’organoïdes cérébraux avec une mutation engendrant le vieillissement accéléré ou le développement de bioréacteurs plus performants et entièrement automatisés : « Nous faisons cela pour préparer la santé physique des astronautes pour des vols habités lointains et de longue durée, mais aussi une meilleure compréhension des processus dégénératifs en général et ainsi identifier les facteurs à risques et facteurs de protection ! »
Ingénieure biomédicale au MEDES, la « clinique spatiale » du CNES, Laure Boyer participe également à préparer le futur de l’exploration spatiale. « La Lune et Mars, c’est demain, assure-t-elle. Aujourd’hui, l’homme est déjà présent dans l’ISS. Mais l’idée, c’est que dès 2025, il fasse son retour sur la Lune, d’abord avec une station orbitale lunaire – le Deep Space Gateway – puis en créant une base lunaire d’ici 2028, en commençant par s’y installer quelques jours. Enfin, après avoir testé toutes les technologies sur la Lune, il pourra préparer son voyage pour Mars. » C’est avec cet objectif qu’elle prend part au projet international Spaceship qui, sur le volet français, s’articule autour de huit grands axes dont le maintien de la santé et des performances pour lequel elle est responsable. Un rôle qui lui demande de suivre de près le développement des nouvelles technologies, biotechnologies comprises. « Nous essayons d’identifier les acteurs français et d’encourager l’excellence française, de créer des partenariats avec des laboratoires académiques, des startups et des grands groupes, de lancer des projets étudiants et des challenges, de financer des publications et des thèses, de participer à des congrès scientifiques, etc. »
… et faire avancer la société
Si tous les sujets sur lequel travaille le CNES ont une vocation intimement liée à l’espace, il ne faut jamais oublier que ces avancées scientifiques trouvent également un certain écho sur le plancher des vaches, bien loin des étoiles. C’est ce que révèle Guillemette Gauquelin-Koch, responsable des sciences de la vie au CNES, pour qui le « spatial est partout », de la présence du « Wifi dans le TGV » jusqu’à « l’agriculture, l’énergie, les smart cities ou encore le tourisme ». Ainsi, travailler sur la santé des astronautes équivaut à révolutionner celle de n’importe quel Terrien. C’est par ces travaux que peuvent se développer et s’améliorer « l’e-santé, la télémédecine, l’utilisation de capteurs… »
Ainsi, quand les équipes du CNES cherchent à étudier les effets de la gravité sur le vivant via notamment la question de l’inactivité physique poussée des astronautes en raison de l’absence de gravité et donc de contrainte mécanique, elles ouvrent potentiellement la porte à de nouvelles révolutions technologiques et scientifiques. « Quand je regarde un projet, je regarde aussi les retombées sociétales possibles » explique d’ailleurs Guillemette Gauquelin-Koch.
Enfin, outre la santé, la question de l’alimentation et de la qualité de l’environnement des astronautes passe aussi par les Biotechnologies, à l’image du projet MELiSSA (Micro-Ecological Life Support System Alternative), présenté par Claude-Gilles Dussap, professeur du réseau Polytech. Un projet qui consiste à recycler l’eau, le CO2 et la nourriture via des compartiments de bioréacteurs et de serres… et qui est soutenu par l’Agence spatiale européenne depuis 35 ans !
Les biotechnologies de l’espace à la Terre
Certaines innovations profitent également de l’espace pour donner lieu à de belles aventures entrepreneuriales sur Terre. C’est notamment le cas d’AirInSpace qui, en 20 ans d’existence, est devenu leader du traitement de l’air, notamment dans les services hospitaliers à haut risque et les établissements publics (écoles, collèges, universités, lycées, crèches…), en récupérant le brevet d’une technologie russe mise au point en 1992 pour l’ISS. « Nous avons transformé et développé cette technologie pour imaginer des adaptations pour le civil, détaille Stéphane Chatenet, dirigeant de cette entreprise qui compte aujourd’hui près de 5000 appareils déployés dans le monde. Il existe différents contaminants et polluants (biologiques, particules, gaz) pour une pollution qui peut être naturelle, humaine ou industrielle. En fonction de ce qu’on chasse, on adapte le traitement au système. Nous proposons ainsi une technologie évitant le développement bactérien et donc le développement de champignons sur le milieu filtrant via notamment une destruction microbiologique ! »
Dans un autre registre, celui du NewSpace européen, la start-up Prométhée cherche à développer et déployer ses propres constellations de nanosatellites d’ici 2025 pour démocratiser l’usage de l’observation de la Terre. Une solution pour renforcer la sécurité-défense, bien sûr, mais aussi préserver la biodiversité comme le révèle Giao-Minh Nguyen, son directeur général et co-fondateur. « Grâce à une vingtaine de satellites, nous pourrons avoir jusqu’à une dizaine de passages par jour sur une zone donnée, ce qui permettra de mieux comprendre les situations et, surtout, d’agir plus efficacement contre les dégazages sauvages en mer, la déforestation, les catastrophes naturelles ou encore les déchetteries sauvages. Il sera alors possible de remonter l’information toutes les 2-3 heures alors qu’aujourd’hui, le délai est de 24 h ! L’idée est d’aller vite pour répondre à cette demande quasi-temps réelle très forte, en proposant des images de haute résolution qui serviront aussi à amener de nouvelles données. Avec une telle résolution, on peut caractériser l’identité d’une récolte, identifier quelle pollution touche l’eau, etc. »
Les biotechnologies et technologies de l’espace, même combat !
Conseiller spatial à l’ambassade de France en Allemagne et passé par le Genopole pour travailler notamment sur la thérapie génique, Gilles Rabin concluait l’événement en qualité de grand témoin. L’occasion pour l’économiste de dresser un parallèle entre les biotechnologies et les technologies du spatial. « Elles ont un problème similaire : ce sont des technologies lourdes qui prennent du temps. Il faut donc parvenir à considérer le temps long du développement tout en parvenant à se projeter très vite pour trouver les marchés et développer les activités. C’est un équilibre extrêmement difficile, dans un milieu très compétitif, mais c’est nécessaire. » Cette rapidité et cette propension à oser, illustrées par les récents exemples de réussites signées SpaceX dans le spatial et BioNTech en santé (qui a mis seulement quatre jours pour se décider à travailler sur le vaccin contre la Covid-19 en adaptant sa technologie de l’ARN messager), répondent à un principe simple : « Les gens ont besoin de trouver des solutions très vite ! » Fin observateur de ces écosystèmes, Gilles Rabin voit surtout une réelle convergence technologique entre les deux domaines. « Par exemple, la bioproduction a besoin du spatial car on peut développer des médicaments plus vite avec la microgravité par exemple. C’est ça l’avenir ! »