Séquestrer le CO₂ avec des briques innovantes : le challenge du projet Carbon’Capt !
À l’image de BioSand, un autre SupBiotech Innovation Project (SBIP) ambitieux d’étudiants de la promotion 2024 de l’école a décidé de s’attaquer à la pollution dans le secteur de la construction et du BTP. Comme son nom l’indique, le projet Carbon’Capt vise à créer une méthode de fabrication d’une brique bio-inspirée, éco-responsable et capable d’absorber du CO₂. Un choix tout sauf anodin quand on sait que le béton représente 7 à 8 % des émissions mondiales de CO₂ !
Démarré en 2020 et porté par Julie Kahane, Elisa Marbeuf, Raphaël Masse, Amélie Sulpice, Juliette Visconti et Léa Wernette, le projet Carbon’Capt est né d’une prise de conscience quant à l’urgence de la crise climatique comme bon nombre d’autres SBIP. « Tout part de notre consultation des derniers rapports du GIEC indiquant qu’il allait falloir augmenter la quantité de CO₂ actuellement séquestrée dans le puits de carbone, affirme Raphaël qui, au sein de l’équipe, occupe le rôle de chef de projet. Or, comme le bâtiment est l’un des secteurs les plus carbonés, il nous semblait pertinent de réfléchir à une innovation pour justement le décarboner ! »
Très vite, les futurs ingénieurs pointent du doigt des incohérences dans la lutte contre les émissions de CO₂, ce qui ne fait que renforcer leur envie d’imaginer une innovation plus responsable. « Il existe des solutions technologiques permettant de répondre à ce besoin mais elles sont souvent non durables, voire même délétères pour l’environnement, analyse Raphaël. L’une des solutions consiste, par exemple, à mettre du CO₂ sous forme liquide dans d’anciennes nappes pétrolières… pour extraire encore plus de pétrole ! Nous avons donc essayé de trouver une alternative en commençant par explorer ce qui existait déjà dans le monde de la construction pour, finalement, trouver et associer différentes technologies. C’est ce qui nous a permis d’arriver au protocole de Carbon Capt. »
Réduire la consommation d’énergie en s’inspirant de la nature
L’innovation de Carbon’Capt repose sur un processus de carbonatation permettant de minéraliser puis de séquestrer le CO₂ dans la pierre avant d’assembler cette fameuse brique à l’aide de micro-organismes. Une idée ingénieuse qui se distingue aussi par son approche durable. « Pour obtenir des briques de construction en terre cuite par exemple, il faut chauffer les matériaux à très haute température et parfois pendant plusieurs jours, ce qui requiert une grande quantité d’énergie et forcément d’importantes émissions de CO₂, souligne le chef de projet. À l’inverse, le process de Carbon Capt repose sur une réaction naturelle, à température ambiante. L’idée est de placer dans des conditions optimales nos agrégats de béton recyclé afin d’améliorer cette réaction et la rendre beaucoup plus rapide. » Exit donc les grandes consommations d’énergie !
Pour rendre possible un tel dispositif, l’équipe s’appuie sur ce que la nature est déjà capable de réaliser par elle-même. Une vraie leçon de biomimétisme. « Nous nous appuyons sur une bactérie utilisée par les coraux pour former leur récif coralien – autrement dit, la matière minérale – à température ambiante, ce qui est une vraie prouesse d’ingénierie quand on y pense, s’enthousiasme Raphaël. Notre solution va ainsi utiliser le même type de micro-organisme avec des propriétés similaires pour parvenir à agréger non pas des morceaux de sable entre eux, mais des morceaux de béton enrichis en CO₂ pour faire des briques de construction ! »
Carbon’Capt, un projet déjà suivi de près par les professionnels de la construction
Arrivé deuxième lors de l’Innovation Challenge Day 2023, le concours qui met en lice les SBIP des étudiants de 3e et 4e années, Carbon’Capt intéresse également les professionnels. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien s’il a remporté le prix du Jury à l’occasion de l’édition 2022 du Prix de l’Ingénierie du Futur, concours d’innovation organisé par Syntec-Ingénierie, la fédération professionnelle de l’ingénierie. Un plébiscite qui ne peut que motiver l’équipe à redoubler d’efforts. « Lors du concours, notre projet a vraiment été accueilli à bras ouverts, avec un réel intérêt pour la technologie développée, se réjouit Raphaël. Ce prix nous a notamment permis de remporter 2 000 euros pour mener nos recherches et de gagner en notoriété auprès des acteurs du bâtiment et de la construction. »
Cet intérêt de l’univers du BTP n’est pas anodin selon le chef de projet, les lois sur la question environnementale commençant à être de plus en plus strictes pour les constructeurs : « Il y a une vraie pression qui s’exerce sur eux afin qu’ils se tournent vers des matériaux plus durables, bas carbone et capables de séquestrer davantage de CO₂. Nous avons donc une carte intéressante à jouer car Carbon Capt s’inscrit complètement dans cette dynamique ! »
Des laboratoires de SupBiotech à la création d’une entreprise ?
Depuis quelques mois, les étudiants ont pu commencer les tests en laboratoire avec leur bactérie grâce au matériel mis à disposition par SupBiotech et réaliser leur premier essai de prototype de brique. « Ce passage de la théorie à l’expérimentation nous a permis d’en apprendre davantage sur le processus de fabrication et de nous rendre compte des contraintes qu’il allait falloir surmonter pour valider les prochains essais, juge Raphaël, conscient que le chemin de l’innovation est encore long. Nous savons qu’un important travail de R&D nous attend pour mener à bien nos preuves de concept sur la partie bactérienne, mais aussi sur la séquestration de CO₂. » En parallèle, l’équipe va continuer à développer son réseau auprès des acteurs intéressés par le projet et susceptibles de les aider, notamment pour accéder à du matériel spécifique. « Nous souhaitons aller le plus loin possible, en déposant potentiellement un brevet ou en nous lançant dans une aventure entrepreneuriale, voire intrapreneuriale, explique le chef de projet. Nous sommes en pleine réflexion quant à nos perspectives d’avenir et au développement du projet ! »
En attendant de voir leurs ambitions se concrétiser, les futurs ingénieurs continuent donc de travailler sans compter les heures en laboratoire ni les efforts fournis, en affichant toujours le même état d’esprit et le même entrain. « Travailler sur un tel projet est passionnant, ne serait-ce que pour le volet entrepreneurial, sourit Raphaël. C’est ça, la culture de l’ingénierie : nous sommes là avant tout pour créer et pousser des innovations ! » Surtout, les étudiants voient dans leur SBIP un bon moyen de s’épanouir. « On ne pense pas automatiquement au domaine de la construction quand on est amené à devenir ingénieur en biotechnologies, mais c’est justement ce qui nous pousse à développer à la fois notre curiosité et nos connaissances, à aller à la rencontre les acteurs du secteur pour comprendre les mécanismes de marché et de financement afin d’ensuite faire grandir le projet en laboratoire et de déployer son potentiel pour la société ! Ce n’est pas que du scientifique, c’est aussi une plongée dans des sujets plus socio-économiques ! » Et la certitude d’acquérir des briques de compétences supplémentaires.