Cearitis, la start-up de Marion Canale (Sup’Biotech promo 2019) qui protège les oliviers
En tant qu’étudiante à Sup’Biotech, Marion Canale (promo 2019) s’était déjà faite remarquer pour le projet innovant Athenolive. Plébiscité par le challenge Biomminovate et la France des Solutions Académie en 2017, ce dernier avait vocation à s’attaquer à la mouche de l’olive, un insecte qui ravage les récoltes en pondant des œufs dénaturant le goût du fruit de l’olivier. Désormais diplômée et accompagnée par le dispositif Booster du Genopole, la jeune ingénieure a continué à développer cette idée pour finalement créer l’entreprise Cearitis au mois de mars 2020 et ainsi développer une solution bio-inspirée proposant une alternative naturelle aux pesticides et insecticides. Pour Sup’Biotech, cette Ancienne revient sur cette aventure entrepreneuriale promise à un bel avenir !
Quel est ton parcours depuis la fin de Sup’Biotech ?
Marion Canale : Déjà, avant même l’obtention de mon diplôme, j’étais concentrée à 100 % sur mon projet ! En effet, j’ai eu l’opportunité de réaliser mon stage de fin d’études sur la thématique liée à mon projet et donc de me consacrer six mois à la R&D. Une fois le stage et mes études terminés, j’ai directement intégré le programme Shaker du Genopole pour finaliser ma preuve de concept et mettre au clair la stratégie de développement de ma future entreprise. Cette période a débuté en octobre 2019 et s’est achevée en mars 2020. Depuis, j’ai créé ma société et intégré un autre programme du Genopole, le Booster, qui est la suite logique du Shaker. Cela me permet de mettre en application tout ce que j’ai fait pendant mon stage de fin d’études et pendant le programme Shaker, mais de façon beaucoup plus concrète à présent.
À Sup’Biotech, énormément de projets innovants sont portés par les étudiants dans le cadre du cursus et des SBIP, mais pas tous donnent lieu à une création d’entreprise. Qu’est-ce qui t’a donné envie de sauter le pas ?
Il y a deux raisons principales ! D’abord, j’avais l’envie de pouvoir concrétiser tout ce que j’avais pu apprendre à l’école. Mener un SBIP nous permet de comprendre la R&D pour la mettre en application, mais aussi le marketing, le juridique… Or, il me semblait difficile de trouver un métier de salarié capable de réunir tous ces aspects. Pour pouvoir cultiver un ensemble de compétences assez large, j’ai voulu créer ma société et faire de ce projet étudiant un projet entrepreneurial.
La seconde raison est liée à une expérience vécue lors d’un précédent stage. Durant celui-ci, j’ai senti que la R&D pure et dure ne me plaisait plus, dans le sens où je trouvais que mon activité était redondante et qu’elle m’empêchait de réellement m’épanouir. Il me fallait quelque chose en plus. C’est ce qui m’a fait penser que l’entrepreneuriat était davantage fait pour moi.
Lors de tes études, le projet se nommait Athenolive. Désormais, l’entreprise se nomme Cearitis. Pourquoi ce changement ?
Cela vient de Cérès, la déesse de l’agriculture. Cearitis a été trouvé à l’issue d’un brainstrorming avec mon associée. On voulait un nom qui soit assez large et rappelle tout de même cette déesse. D’ailleurs, c’est aussi un clin d’œil à Athenolive qui s’inspirait également d’une divinité.
Parlons justement de ton associée, Solena Canale Parola. Peux-tu nous la présenter ?
Il s’agit de ma cousine ! Elle est actuellement en dernière année à l’ISEG, une autre école du Groupe IONIS spécialisée elle dans le marketing et la communication. Nous associer dans cette aventure nous est apparu comme une évidence. En effet, au-delà de nos compétences respectives qui se complètent parfaitement, nous partageons une histoire commune avec l’olive. Nos familles viennent du même village italien, en Sicile : son grand-père comme le mien y cultivait des oliviers et souffrait des ravages provoqués par la mouche de l’olive. Elle sait combien ce problème peut-être impactant pour les récoltes et souhaite donc résoudre ce problème autant que moi ! Je ne pouvais pas rêver meilleure associée.
Marion Canale et Solena Canale Parola
Où en est le développement de votre solution aujourd’hui ?
Notre R&D porte sur deux points : une partie attractive – « Pull » – et une partie répulsive – « Push ». Grâce à mon stage de fin d’études, j’ai déjà pu développer une grande part de la solution « attractive » du projet et j’ai poursuivi cette étape lors du programme Shaker tout en travaillant sur la conception du piège diffuseur. Au sein du Booster, nous avons pu rechercher des fonds afin de financer notre premier prototype de piège diffuseur. Ce dernier est en cours de construction. Nous allons donc enfin pouvoir tester le piège et la solution attractive sur le terrain à partir de septembre 2020. Cette phase de test se fera sur des parcelles d’oliviers du Sud de la France, dans le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, voire en Corse également. Nous avons trouvé ces parcelles grâce à notre propre réseau : en effet, en 2018, pour réaliser une étude de marché, nous étions déjà parties interviewer des oléiculteurs dans ces régions afin de savoir comment ils géraient la problématique de la mouche de l’olive. Comme nous avons gardé un excellent contact avec eux, ils ont été d’accord pour nous fournir gratuitement un hectare de leurs parcelles pour tester notre solution.
À quoi ressemble ce prototype de piège diffuseur ?
Pour son apparence, il faut imaginer un grand réfrigérateur ! Il fait 1m80 de hauteur sur 50 cm de largeur et, sur chacune de ses faces, on retrouve des orifices permettant de diffuser la solution et de coincer les mouches non pas via un insecticide, mais des plaques engluées. A l’intérieur se trouvera tout un système électronique permettant de diffuser automatique la solution attractive. L’idée est que le piège soit autonome une fois installé sur le terrain, d’où le fait d’avoir fixé un panneau solaire sur le dessus pour alimenter le système électronique. La solution attractive peut ainsi être diffusée automatiquement, sans l’intervention d’un oléiculteur. L’objectif est de faire économiser du temps à ce dernier et non pas de lui rajouter de la pénibilité.
De quoi se compose la solution attractive ?
Elle est composée de ce qu’on appelle des médiateurs chimiques. Nous voulons tout simplement reproduire sur le terrain l’attraction qu’a la mouche de l’olive pour l’olivier. En effet, l’olivier émet naturellement des substances attractives pour cette variété de mouche. Nous avons donc identifié ces substances et les avons incorporées dans notre solution. Une fois déversée automatiquement par le système sur des plaques intégrées dans le piège, la solution évaporera les molécules attractives. Pour que la mouche privilégie le piège aux oliviers alentours, nous avons d’une part fait en sorte que le piège diffuse régulièrement la solution. D’autre part, cette solution est évidemment bien plus concentrée en molécules attractives. Enfin, nous plaçons notre piège de façon stratégique, au Nord-Ouest de la parcelle concernée, à l’endroit par où les mouches arrivent généralement.
Lors des prémices du projet, il était aussi question de pouvoir limiter la prolifération des mouches via des bactéries. C’est toujours d’actualité ?
Nous souhaitions en effet utiliser des bactériophages pour cibler la flore intestinale de la mouche de l’olive et, du coup, la fragiliser et empêcher les futures générations de mouches de proliférer. Toutefois, nous avons préféré arrêter cette partie-là car il est compliqué d’installer des micro-organismes sur des parcelles d’un point de vue réglementaire. Pour autant, on garde toujours cette idée dans un coin de notre tête pour peut-être la développer à nouveau plus tard.
En plus du piège, un autre aspect du projet concerne aussi la partie répulsive censée protéger directement l’olivier. Où en est cette partie ?
Pour l’instant, nous concentrons nos forces sur la partie attractive avec les tests. Cependant, nous allons travailler sur la partie répulsive à partir du début de l’année 2021, en enclenchant une nouvelle phase de R&D afin de la finaliser et enfin pouvoir déployer sur le terrain notre système « Push & Pull ». Et comme pour la partie « Pull », la partie « Push » se fera en total respect de l’environnement : chez Cearitis, nos solutions se veulent 100 % biologiques et ne présentent aucun risque pour l’environnement, pour l’utilisateur ou le consommateur !
Comment se diffusera la solution répulsive ? Via des drones ?
C’est ce qui est prévu, oui. Le drone présente plusieurs avantages. Non seulement il n’utilise pas d’essence, ce qui évite la pollution du terrain, mais il est aussi très pratique pour atteindre des parcelles parfois difficilement accessibles. Par exemple, en Corse, il n’est pas rare que certains oliviers se situent à flan de montage. Le drone permettra donc de faciliter la diffusion de la solution sans ajouter de contrainte à l’oléiculteur. Certes, le coût du drone pourrait être considéré comme important de prime abord, mais cela nous semble être la meilleure solution.
Justement, au tout début du projet, il était question d’imaginer une solution accessible financièrement pour ne pas peser sur les dépenses des oléiculteurs. Quel coût pourrait représenter votre solution vis-à-vis des autres services proposés aujourd’hui, souvent à base d’insecticides ?
Notre approche étant innovante, il est difficile de pouvoir établir un véritable comparatif avec les services existants. Pour autant, nous avons tout de même pu comparer notre projet avec deux d’entre eux. Le premier, probablement notre concurrent le plus direct, utilise des phéromones, à ne pas confondre avec nos molécules attractives appelées kairomones. Notre service est six fois moins cher. La seconde pulvérise de l’argile blanche sur les oliviers, ce qui permet de faire une barrière physique contre la ponte des mouches. Là, notre service est cinq fois moins cher. Dans les deux cas, cela prend en considération le coût total, de la conception du piège à son installation. Nous économisons énormément sur la main d’œuvre grâce à l’autonomie du système. Évidemment, le piège a un coût conséquent, mais comme il est valable 10 ans sur le terrain, l’amortissement est réel.
Reparlons des programmes Shaker et Booster du Genopole. Qu’apportent-ils à un porteur de projet ?
Beaucoup de choses ! Déjà, il y a le réseau. C’est même sûrement cet aspect qui nous a été le plus précieux. Je pense notamment au partenariat existant entre le Genopole et l’Institut catholique d’arts et métiers (ICAM). Cela nous a permis de passer par la Junior-Entreprise de l’ICAM pour faire la première preuve de concept de notre piège, notamment sur la partie liée au système électronique. Nous avions besoin de telles compétences pour avancer. Un autre avantage de ces programmes réside dans les laboratoires mis à disposition gratuitement. Grâce à eux, nous avons pu formuler et finaliser notre solution attractive sans avoir à louer un laboratoire à Paris, ce qui coûte extrêmement cher. Enfin, Shaker et Booster s’accompagnent de nombreuses formations tournées vers les différents aspects de l’entrepreneuriat : business plan, pitch, prévisionnel financier, business model… bref, tous ce qui est nécessaire de savoir et maîtriser pour créer son entreprise. Cela nous a permis d’arriver où l’on est aujourd’hui.
Une solution pour les particuliers est-elle aussi envisageable à l’avenir ?
Bien sûr ! Nous avons d’ailleurs établi un premier contact avec une maire du Sud de la France pour cela. En effet, nous souhaitons avant tout passer par les mairies et les collectivités locales pour cibler les particuliers. C’est plus simple de procéder ainsi car les particuliers n’ont pas l’habilitation à utiliser des produits phytosanitaires contrairement à ces organismes. S’adresser aux particuliers nous semble être une évidence car ils représentent 70 % des surfaces oléicoles françaises. C’est donc un très gros marché, d’autant qu’ils ont besoin de protections phytosanitaires car leurs oliveraies ne sont pas traitées et sont vectrices de la propagation de la mouche de l’olive. Cela impacte donc leurs propres récoltes comme celles des professionnels.
Avez-vous prévu une levée de fonds et des partenariats ?
Nous sommes en train justement de faire des démarches pour demander un premier prêt d’honneur Wilco ainsi que des subventions. Quant à notre première levée de fonds, elle devrait avoir lieu au début de l’année 2021, au moment où l’on souhaite relancer notre phase de R&D. Ensuite, nous allons aussi avoir besoin de partenaires académiques pour également accélérer notre R&D afin de travailler sur la partie répulsive, mais aussi diversifier notre activité et s’attaquer à d’autres ravageurs. Nous avons plusieurs ravageurs en tête qui concernent d’autres cultures, comme la pomme, la vigne ou encore la mangue. Nous avons déjà estimé les ravages qu’ils peuvent provoquer et l’impact économique qu’ils représentent. Nous voulons pouvoir appliquer notre technologie sur eux.
Faut-il s’attendre à retrouver Cearitis au Salon de l’Agriculture en 2021 ?
On aimerait bien ! Bon, pour l’instant, rien n’est fait, mais cela serait l’idéal pour présenter notre approche. En plus, d’ici là, nous aurons déjà les retours des tests terrain et donc une meilleure visibilité sur l’efficacité de notre technologie !
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