Les Biotechnologies, un eldorado pour les entrepreneurs ?
De par sa Mineure Entrepreneuriat et son programme des SBIP qui permet aux futurs ingénieurs de développer une idée prometteuse sur plusieurs années durant le cursus, Sup’Biotech a toujours eu à cœur de favoriser l’essor d’entrepreneurs dans le secteur des Biotechnologies. Et c’est justement pour aborder la création d’entreprise que l’école a invité plusieurs experts lors de sa dernière grande conférence interprofessionnelle de l’année, le mardi 30 novembre 2021 au Campus numérique & créatif Paris Centre du Groupe IONIS, avec une question sous-jacente : est-ce que 2022 sera une bonne année pour se lancer dans l’entrepreneuriat des Biotechnologies ?
Vanessa Proux, la directrice générale de Sup’Biotech
Pendant longtemps, parler d’entrepreneuriat et de Biotechnologies en France consistait essentiellement à aborder le cas des MedTech, ces innovations en santé. C’est ce que rappelle Franck Mouthon, entrepreneur, PDG de Theranexus et président de France Biotech, association qui depuis bientôt 25 ans « fédère les entrepreneurs en santé » en leur permettant de bénéficier « des meilleures conditions de développement sur le territoire et à l’export ». Pour lui, tous les voyants sont au vert pour oser s’aventurer sur ce territoire, en particulier depuis l’annonce du plan France 2030 et de ses 7 milliards d’euros destinés au renouveau de la santé. Une nouvelle stratégie hexagonale qui a pour but d’accélérer l’émergence de nouvelles solutions dans le biomédical (la santé numérique en tête), la bioproduction (pour améliorer la production de médicaments, notamment) et dans le domaine des maladies infectieuses et émergentes. Un « fort accompagnement de ces innovations par les pouvoirs publics » qui vient donc s’ajouter à d’autres outils en faveur des créateurs, comme « le crédit impôt-recherche (CIR) », l’implication d’acteurs comme Bpifrance ou l’émergence de « nouveaux bioclusters » capables de fournir « des espaces d’innovation pour les futures entreprises accompagnées, y compris celles très jeunes ». De quoi laisser présager une émulation vertueuse donnant naissance à des innovations dans d’autres secteurs, de la médecine vétérinaire à l’agroalimentaire, sous réserve de fédérer d’abord les talents : « Les conditions sont plus favorables aujourd’hui qu’il y a 20 ans, bien sûr. Mais il y a encore des défis sur les aspects financiers, les enjeux réglementaires et les questions administratives. Il faut s’entourer très tôt quand on se lance, pour avoir des standards industriels et des ambitions quasiment dès le début de l’aventure. C’est une dimension d’exigence capitale, pour faire face à la concurrence internationale des Biotechnologies ! »
Franck Mouthon
La journaliste Anne Pezet animait les échanges lors de cette conférence
L’union fait la force
Bien s’entourer, c’est justement ce qu’a voulu Thomas Hennebel, cofondateur et CEO de Dionymer, jeune start-up française ayant pour ambition de remplacer les plastiques pétrochimiques grâce à la chimie circulaire. « Avec deux amis chercheurs et ingénieurs en polymères, nous avons créé la société à l’automne 2021, mais on y pensait depuis longtemps, explique cet ingénieur de formation, passé par le conseil avant de s’émanciper. Cela a germé durant le premier confinement et nous avons aujourd’hui quitté tous les trois nos travails respectifs. » Dionymer est ainsi né à la fois d’un constat – « sur les 400 millions de tonnes de plastique produit à l’échelle mondiale par an, seul 1% n’est pas issu du pétrole » – et d’une envie – trouver une solution en observant la nature. « Nous avons voulu suivre l’approche biomimétique de la chimie circulaire, la chimie du vivant, en essayant de voir comment la nature faisait pour produire des polymères sans le pétrole, poursuit le jeune entrepreneur. Or, il existe des organismes capables d’absorber du carbone dans leur corps pour produire du plastique. Nous avons donc la possibilité de développer une technologie dans le but de transformer des déchets organiques en polymère biodégradable, compostable et entièrement naturel grâce à des bactéries. » Le but de la jeune structure ? Réaliser une preuve de concept (POC) d’ici 2022 afin de pouvoir ensuite valoriser ces déchets de façon plus poussée encore et proposer à l’avenir des impacts environnementaux extrêmement réduits à tous les secteurs industriels des polymères. Un défi qui stimule le CEO : « Avec ce projet, j’ai découvert un monde de l’entrepreneuriat hyper dynamique, hyper actif. On apprend énormément de choses très vite et on découvre aussi qu’il existe énormément de structures d’accompagnement, publiques, associatives et privées. Nous sommes ainsi accompagnés par la SATT, une structure publique présente dans toutes les régions, qui nous forme, nous finance et nous aide avec son réseau. Nous avons aussi déjà rencontré plus d’une dizaine de fonds d’investissement alors que l’entreprise vient juste de démarrer : c’est un environnement très optimal pour lancer les choses ! »
Thomas Hennebel
La politique de la main tendue
L’accompagnement est fondamental pour les entrepreneurs, qui plus est dans l’univers des Biotechnologies. En effet, si un jeune développeur peut concevoir la dernière application à succès sur son ordinateur, ce n’est pas le cas de l’expert en biologie qui doit, avant d’arriver sur le marché, mener d’innombrables expériences en laboratoire. C’est à ce niveau qu’interviennent donc les structures d’incubation et d’accélération spécialisées comme celles du Genopole, premier biocluster français qui, depuis sa création, a vu passer et grandir de nombreuses pépites des Biotech. « Nous avons démarré cette aventure en 1998, à une époque où la France était super forte en sciences, mais pas du tout dans l’économie de l’innovation, en particulier sur la santé : les startups n’étaient pas encore en vogue, note Olivier Tomat, directeur du développement des entreprises du Genopole. Or, si l’on veut contribuer à générer des startups, qui mettent du temps à se développer, il faut prendre le problème à la racine – qu’est-ce qu’on leur offre quand elles commencent ? D’où l’idée de créer nos dispositifs Shaker et Booster – aujourd’hui remplacé par Gene.iO. »
Avec Shaker, le Genopole permet aux néo-entrepreneurs de d’abord tester leur idée et d’en faire une POC. Ensuite, avec Gene.iO, les équipes créent leur entreprise et passent un cap en bénéficiant du soutien, de l’expertise et du réseau de nombreux professionnels reconnus. « Nous fournissons des équipements de labo, des plateformes de développement technique, des consommables… et nous les formons ! » Au départ axé sur la santé, Genopole a depuis permis à de nombreuses startups en Biotechnologies de toucher un large spectre. Et, d’après Olivier Tomat, ce n’est pas près de s’arrêter, les années à venir étant encore plus excitantes. « Il y a 15 ans, quand on voulait monter une entreprise de Biotechnologies, c’était compliqué. Aujourd’hui, avec la biologie de synthèse par exemple, on a un pool d’entrepreneurs potentiels beaucoup plus large ! Il faut développer cette appétence, en partageant des espaces d’innovation, des paillasses, par des investissements globaux… Au Genopole par exemple, nous montons un Food Lab et pensons à accompagner les projets intrapreneuriaux. Nous organisons des rencontres avec des investisseurs, des professionnels, des grands groupes également internationaux. Le but, c’est toujours d’avancer, de ne jamais faire la même chose qu’il y a 5 ou 10 ans, de s’ouvrir à de nouveaux secteurs, etc. Ce sont des écosystèmes mouvants ! Au fond, l’objectif est de transformer les scientifiques en entrepreneurs, pas de les associer à des profils entrepreneurs ! »
Olivier Tomat
Des idées derrière la Tech
Parmi les nombreuses réussites entrepreneuriales ayant bénéficié des outils mis à disposition par Genopole se trouvent Algama Foods, Azuvia et Cearitis. La première est une FoodTech qui utilise les microalgues comme matière première en bio raffinerie afin de les transformer en ingrédients adaptés à l’industrie agroalimentaire et facilement utilisables. La deuxième est une CleanTech qui associe ingénierie et traitement biologique des eaux usées pour attaquer directement la pollution à la source. La troisième est une AgTech qui prend à bras le corps le problème des femelles mouches des fruits, un mal qui représente près de 10 milliards de dollars de pertes directes annuelles pour les filières concernées.
« Les Food Techs changent beaucoup, analyse Thomas Felice, CTO Algama Foods. Il y a 10 ans, cela concernait essentiellement des applications de livraison ou de coaching alimentaire, du retail, du service… Désormais, depuis quelques années, on assiste à une explosion de l’AgTech, comme avec Ynsect (également passée par le Genopole) et de la Food Science, via notamment l’émergence de nouvelles sources de protéines du futur pour nourrir 7 milliards d’humains. Quand Algama Foods a été créée en 2013, nous étions trois seulement ! Depuis, nous avons levé plus de 11 millions d’euros, déposé 25 brevets, connu une petite aventure aux Etats-Unis, etc. Il existe de nombreuses aides européennes et françaises très importantes sur ces sujets : il ne faut pas avoir peur de se lancer ! » Un avis partagé par Marion Canale (Sup’Biotech promo 2019), cofondatrice de Cearitis qui, avant de devenir une start-up en 2020, a d’abord grandi en tant que SBIP ! « J’ai pu utiliser tout ce que Sup’Biotech m’a appris, via la Majeure R&D puis la Mineure Entrepreneuriat, puis ensuite grandir avec les programmes Shaker & Booster, confie la créatrice de 24 ans. Ce qu’il faut se dire, c’est que l’univers de l’AgTech est passionnant ! En effet, les Biotechnologies et l’alimentaire ne concernent pas que les OGM : cela peut donner des solutions sur des problématiques aussi diverses que la fertilité des sols, le manque d’eau, la résistance aux maladies, la lutte contre les ravageurs, la destruction de la biodiversité environnante… »
Thomas Felice
Des aides en France et en Europe
Même son de cloche auprès de Tristan Bauduin (Sup’Biotech promo 2019), cofondateur d’Azuvia avec deux autres camarades de classe. « On a besoin d’entrepreneurs car la CleanTech, ce sont des métiers d’avenir et, les Biotechnologies, un secteur fabuleux, avec tout un tas de leviers en France ou en Europe. Quand vous avez une idée et un projet à construire, il y a des solutions, des aides, des structures ! Ce n’est pas si compliqué et tout le monde en est capable. Si vous êtes ingénieur par exemple, vous avez déjà la capacité à apprendre, ce qui est une faculté essentielle pour devenir un entrepreneur capable de maîtriser les sujets techniques et scientifiques comme les enjeux business. Chez Azuvia par exemple, lors des débuts de l’entreprise en 2019, notre activité de traitement de l’eau portait sur les piscines avec un cœur technologique basé sur trois grands principes : l’hydroponie, la phytoépuration et l’utilisation d’un biofiltre en environnement contrôlé. Et il y a un an, nous avons choisi de « pivoter » pour adapter ce cœur à une nouvelle application : le traitement des effluents liquides issus de l’industrie agroalimentaire, qui consomme énormément d’eau et en rejette beaucoup. »
Pour Marion Canale, les raisons pour oser le pari de l’innovation ne manquent pas. « Bien sûr, l’entrepreneuriat a d’abord été pour moi des tableurs Excel et de nombreux questionnements, sur le projet, son évolution… Heureusement, des accompagnements comme le Genopole ou le Crédit Agricole m’ont permis d’avancer. Il y a aussi de bonnes perspectives pour la suite avec une augmentation des financements pour la promotion de l’agriculture durable, de plus en plus d’événements dédiés à la place des Biotechnologies dans l’agriculture et une réglementation européenne mise à jour très régulièrement, avec notamment des facilités financières et des délais raccourcis pour la mise sur le marché d’innovations biologiques ! » Et les grands groupes ne sont pas en reste, comme le souligne Thomas Felice : « De plus en plus d’entreprises lancent aussi leur propre accélérateur, comme Nestlé par exemple. C’est vraiment le bon moment pour entreprendre, plus qu’il y a 10 ans, d’autant que le gros qui mange le petit, qui vole son innovation, ça existe beaucoup moins désormais. Enfin, on peut profiter de tout un écosystème vertueux en France et en Europe : pour réussir, on n’a plus forcément besoin d’aller outre-Atlantique ! »
Tristan Bauduin
Un défi que tout le monde peut relever ?
Mais si Algama Foods, Azuvia et Cearitis ont été lancées par de jeunes équipes, ce n’est pas le cas de toutes les startups en Biotechnologies. AtmosR en est la preuve. Fondée et dirigée par Xénia Proton de la Chapelle, cette entreprise a vu le jour en 2019 pour, un jour prochain, réussir à changer la vie des patients atteints par le Syndrome d’Ondine (ou Syndrome d’hypoventilation alvéolaire centrale congénitale), une maladie rare qui ne touche qu’environ 130 personnes en France. « Je n’ai jamais fait de tech de ma vie, explique la CEO. Auparavant, j’étais cheffe d’entreprise dans l’industrie du textile, puis j’ai eu un quatrième enfant, mais ce bébé n’a pas respiré au moment de la naissance… Ma vie a alors complétement basculé, on nous a parlé de maladie, de handicap, d’intubation… Mon fils est en fait porteur d’une mutation génétique sur un chromosome, le Syndrome d’Ondine, une des 5000 maladies rares, et vit en permanence avec un respirateur/ventilateur. » Après avoir vendu son entreprise pour s’occuper de son enfant aujourd’hui âgé de 7 ans, Xénia Proton de la Chapelle apprend à comprendre cette pathologie, se « transforme en infirmière » et se rapproche de l’association de patients « pour se sentir utile ». Très vite, elle s’active au sein de l’association pour récolter des dons. La première année, 80 000 euros sont collectés, puis 200 000 euros les années suivantes. Des chiffres qui soulagent le cœur mais ne suffisent malheureusement pas à prendre en charge de telles pathologies ni à vraiment faire avancer la recherche. « J’ai alors voulu créer un conseil scientifique pour voir où investir cet argent et nous avons changé notre façon de voir les choses. Plutôt que de financer des laboratoires académiques, nous avons commencé à écrire notre propre stratégie, notre propre histoire, via notre projet scientifique pour imaginer un futur médicament. Il nous fallait alors une dizaine de millions d’euros. Nous avons alors créé l’entreprise en 2019, pour faire appel à des investisseurs, bénéficier de subventions, des financements que l’on n’aurait pas pu obtenir dans une association de patients dont le rôle est avant tout de soutenir les malades et les familles. Et aujourd’hui, AtmosR, c’est 5 associés et 3 salariés, pour 1,5 million d’euros levés, dont 50 % de subventions ! »
Xénia Proton de la Chapelle
Investissement et innovation radicale
Qu’ils veulent lutter contre les maladies rares ou non, tous les entrepreneurs doivent un jour faire face à une étape cruciale : l’obtention de financements auprès d’investisseurs. C’est à ce moment-là qu’interviennent des sociétés comme UI Investissement, représentée lors de la conférence par Jean-Philippe Zoghbi, son directeur associé en charge de la partie « Capital Innovation ». « Notre mission, c’est d’apporter de l’argent à des projets d’ingénieurs et de scientifiques, pour supporter cet écosystème, précise le spécialiste. Chez UI, on intervient à tous les stades de création et de développement d’entreprises. Personnellement, je m’occupe de startups en phase d’ultra-amorçage et d’amorçage, soit les tout premiers stades, quand le produit en est à l’étape du prototype ou qu’il vient d’arriver sur le marché. Ensuite, il y a d’autres levées possibles pour le financement de la croissance, pour attaquer de nouveaux marchés technologiques ou géographiques, etc. » Reste que pour Jean-Philippe Zoghbi, avoir une bonne idée ne permet pas toujours de lever des fonds, la faute bien souvent à un manque de connaissances du marché des investisseurs de la part des entrepreneurs. « Il existe de nombreux fonds et certains sont dédiés à différentes thématiques, d’autres ne choisissent d’investir qu’à un certain stade de développement. En fin de compte, ne pas recevoir un investissement ne signifie pas forcément que votre idée est mauvaise, mais que votre projet ne remplit pas les cases du fonds visé ! »
Jean-Philippe Zoghbi
Ainsi, si vous êtes à la tête d’un projet très audacieux dans le domaine des Biotechnologies, peut-être que vous aurez des chances d’attirer l’attention de Truffle Capital, la « société de Venture Capital » dirigée par Philippe Pouletty. Ce dernier, Grand Témoin pour la clôture de cette conférence, est en effet un grand partisan de ce qu’il appelle « l’innovation radicale ». Un état d’esprit et une confiance dans la disruption qui lui ont permis de croire à des aventures à succès comme Carmat (cœur artificiel), Abivax (médicaments pour maladies inflammatoires) ou encore Carbios (bio recyclage enzymatique des plastiques). « L’innovation radicale est justement la moins risquée, estime Philippe Pouletty. Elle peut sauver non seulement des vies mais aussi préserver la planète. Il faut viser très haut car, si le parcours d’entrepreneur s’avère difficile, autant s’intéresser à de grands problèmes plutôt qu’à des sujets médiocres ! Et l’innovation radicale, c’est révolutionner des maladies ou des problèmes touchant la planète. » Pour ce spécialiste des BioMedTech, le chemin d’un entrepreneur en Biotechnologies doit également s’appuyer sur la création de brevets. « La propriété intellectuelle, c’est le nerf de la guerre pour l’innovation radicale, insiste-t-il. Être un pionnier, c’est bien, mais si vous n’avez pas de brevet, cela ne sert à rien car le premier arrivé reste le premier servi. Et, parfois, il suffit de 24 h ou d’une semaine avant qu’une autre personne dans le monde ne dépose ce même brevet avant vous ! Si vous avez en tête une expérimentation, il faut aussi se lancer et déposer ce brevet formulant précisément cette dernière car, une fois le brevet déposé, vous aurez ensuite environ 12 mois pour aller plus loin. Il faut protéger votre invention ! » Des mots qui ne peuvent qu’inciter à oser celles et ceux qui hésitaient encore.
Philippe Pouletty