Conférence : le biomimétisme, lorsque le vivant inspire
Sup’Biotech et le Discovery Innovation Lab (DIL) ont proposé une conférence intitulée « NatureLab : Faites de la nature votre labo de R&D ! » pour faire le point sur le biomimétisme, un domaine en pleine émergence. Organisée le 19 mars 2015 sur le Campus technologique IONIS Education Group – Kremlin-Bicêtre, elle a donné la parole à des experts et des professionnels de différents horizons.
« Notre volonté est de nous impliquer dans l’ensemble des sciences du vivant, explique Vanessa Proux, directrice générale de Sup’Biotech, en ouverture. Le biomimétisme en fait naturellement partie. » Pour Emmanuel Delannoy qui dirige l’Institut INSPIRE, « son histoire a commencé il y a 3,8 milliards d’années. Elle a donné naissance à 15 millions d’espèces », dont l’Homme naturellement. Ce dernier s’inscrit dans un environnement plus vaste dont il est tributaire : « Nous sommes interdépendants d’organismes et de micro-organismes que nous ne connaissons pas forcément. » L’écosystème dans lequel nous évoluons nous dépasse, car « le tout est plus grand que la somme des parties ». Autrement dit : « La compétence d’un groupe est supérieure à l’addition des compétences individuelles ». À l’exemple du pétrole, « nous puisons nos ressources dans des écosystèmes du passé à un rythme un million de fois plus grand que le temps nécessaire à sa reconstitution ». Si la question des limites se pose, « le vivant est là pour nous apporter des solutions ».
De nombreux exemples de bio-inspiration
Hugues Bersini, directeur de l’Institut de recherches interdisciplinaires et de développements en intelligence artificielle (IRIDIA) rappelle que les exemples inspirés de la nature sont légion, notamment en informatique. L’algorithme de colonies de fourmis (ACO), développé par son laboratoire, est inspiré du comportement collectif des fourmis : il est le meilleur aujourd’hui pour router de façon optimale des paquets sur Internet. L’informatique s’attelle à modéliser des systèmes biologiques ; c’est le cas dans le domaine de l’intelligence artificielle. Comme dans la nature, lorsqu’on associe des robots, leur intelligence est supérieure en groupe qu’individuellement. Le professeur s’interroge sur « comment passer des parties au tout » et sur les meilleurs modèles pour apprendre et faire progresser l’intelligence (les meilleurs joueurs de go sont ainsi ceux qui ont appris par apprentissage, en faisant des erreurs). L’avènement de l’ère des données (le big data) et du machine learning pose, selon lui, de nombreuses questions, notamment sur la disparition de l’explicitation.
Emmanuel Delannoy et Hugues Bersini (de gauche à droite)
Henry Duchemin, fondateur de Mélilot Consulting et apiculteur passionné, explique qu’il existe trois grands types de biomimétismes : les formes, les processus et les organisations (le faire ensemble). « La ruche est un symbole du vivre et travailler ensemble, avec une intelligence en essaim ». Contrairement à ce qu’on pourrait penser, « dire que le plus fort gagne toujours dans la nature n’est pas une vérité : c’est l’ensemble de la chaîne qui fait la vérité. Dans la ruche, il y a un lien avec le monde extérieur : on s’aperçoit que la relation est très forte. On peut s’en inspirer pour le développement durable : les abeilles prennent et contribuent au renouvellement des plantes sans les épuiser. » Ces « externalités positives » peuvent être source d’inspiration pour l’économie collaborative, l’économie circulaire, l’open source… Mais, « le biomimétisme demande beaucoup d’humilité ».
Quelle(s) réalité(s) ?
Olivier Girinsky, en charge des projets innovants à Sup’Biotech, a présenté une étude sur le biomimétisme : entre 2008 et 2014, la Chine est le pays qui a publié le plus de documents et d’articles sur le sujet, suivi des États-Unis et de l’Allemagne. Quant aux nombre de brevets de bio-inspiration, les États-Unis dominent, avec une percée du continent asiatique. Selon lui, « la nature n’est pas une source inépuisable d’inspiration car l’érosion de la biodiversité (notre empreinte écologique) nous prive chaque jour de nouveaux modèles capables d’apporter des solutions de développement durable de demain. » Toutefois, elle inspire plusieurs projets réalisés par des étudiants de l’école : DROP2C (développement d’un kit de tests de toxicologie de l’eau en temps réel utilisant des micro-organismes), Smart Crack (colmatage de microfissures de béton en utilisant la bio-calcification), BioRocket (réduction de l’empreinte écologique des aéronefs avec des biomatériaux), Shine Perle (développement d’encapsulations perlées pour les cosmétiques s’inspirant de la rosée) et FractalCoating (revêtements avec des motifs inspirés des fractales pour réduire l’adhésion des liquides).
Henry Duchemin et Gilles Defrel (de gauche à droite)
Kalina Raskin, chargée de développement scientifique au Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (CEEBIOS) présente sa structure, « une initiative inédite en Europe ». Ce centre est un réseau qui rassemble, à l’échelle continentale, des compétences pour accompagner et faire émerger des projets innovants. Le CEEBIOS, soutenu par de nombreux scientifiques, est également un espace de démonstrations et un centre de communication pour faire connaître le bio-mimétisme, un sujet qui « commence à émerger à l’échelle internationale ».
Pour Geneviève Meyer de Capgemini Consulting, « l’impression 3D et la fabrication additive sont des cas d’applications involontaires du biomimétisme ». En effet, elles fonctionnent par couches successives, comme la croissance des troncs d’arbres. Ce parallèle est valable dans l’optimisation topologique : la construction en nid d’abeille, par exemple, ou inspirée du bambou. Dans tous ces cas, comme dans la nature, on cherche à utiliser le moins de matière. La fabrication additive et l’impression 3D ont de nombreuses applications : le dentaire, le médical (permet de créer des organes pour simuler des opérations), la fabrication de moules (qui permettent d’augmenter la productivité), l’aviation… Et rapidement, l’impression 4D sera généralisée, également inspirée de la nature : des structures évolutives, qui, comme les bourgeons, contiennent déjà en eux les fleurs.
Et demain ?
Pour Dorothée Benoit Browaeys, co-fondatrice de l’association VivAgora et rédactrice en chef adjointe d’UP Magazine, « le biomimétisme contient de nombreuses valeurs » et maints développements. Jacques Livage fondateur du Laboratoire de la chimie de la matière condensée et professeur au Collège de France en donne un exemple. Le verre, qui est pourtant très peu présent dans la nature est créé par les diatomées, des micro-algues cellulaires qui en fabriquent pour leurs carapaces. Elles le font grâce à la silice, par polymérisation. Ce procédé est intéressant pour les industriels qui peuvent ainsi fabriquer du verre à température ambiante grâce à un sol-gel de silice. On peut aussi associer le verre à d’autres composants pour créer de nouveaux matériaux, qui « ouvrent de grandes perspectives » et des applications nombreuses : les résines dentaires, lunettes anti-rayures, parebrises… À terme, on pourrait imaginer des nano-médicaments pour cibler des maladies, faire de l’imagerie médicale… Comme le rappelle humblement l’ingénieur-chimiste : « La nature est beaucoup plus intelligente que nous. »
Les laboratoires Pierre Fabre, au sein desquels Christel Fiorini est chef de projets R&D pour les produits végétaux, ont depuis leur création mis les plantes au cœur de leurs travaux : les organismes et plantes y sont sélectionnés pour leur capacité de résistance. La chercheuse cite de nombreux exemples dont celui du magnolia dont les feuilles sont épaisses et brillantes. La plante développe une cire particulière qui a été adaptée pour les cheveux et qui permet de les hydrater, les réparer et les faire briller. Selon elle, les possibilités ouvertes par la bio-inspiration sont immenses : des solvants verts, la biologie synthétique, les nanotechnologies, les bio-matériaux…
« La nature, la plus rationnelle, la plus durable et économique des méthodes »
Céline Tchao de La Paillasse se demande si le biomimétisme ne devrait pas inspirer le design et l’architecture, en se basant sur la rationalité et sans recherche du superflu : « Le futur consistera-t-il à retisser les liens entre ces sociétés techno-centrées qui se sont éloignées de la biosphère ? » L’architecte Antoni Gaudí, qui comme l’Art nouveau, s’est largement inspiré de la nature en se révoltant contre la société industrielle, a d’ailleurs dit : « L’architecte du futur construira en imitant la nature, parce c’est la plus rationnelle, la plus durable et économique des méthodes. » Il existe une convergence de la biologie et de l’informatique, car cette dernière permet de répéter à l’envi des formes, ce que l’on ne pouvait pas faire à la main, mais que la nature fait. « La question est de savoir où l’on se place par rapport à la nature : à l’extérieur ou pas ? »
Céline Tchao, Roland Schaer et Jacques Livage (de gauche à droite)
Pour le philosophe Roland Schaer, s’appuyant sur les travaux de Charles Darwin sur La Formation de la terre végétale par l’action des vers de terre, « nous n’avons pas l’inventivité de la technique. Ne serions-nous pas des vivants parmi les vivants, qui comme les autres, transforment leur environnement ? Toute une série de grandes inventions technologiques sont en quelque sorte biomimétiques ». Il se demande si « la démarche biomimétique ne nous permettrait pas de repenser notre rapport à la nature. Nous sommes finalement co-acteurs de notre propre évolution, puisque l’on transforme notre propre milieu. » Comme si le biomimétisme, avant même d’avoir été intellectualisé, pensé et rationalisé, précédait finalement à toute action de l’Homme.
Des start-ups qui ont fait du biomimétisme leur cœur d’activité
- EXP’AIR, un centre de compétences et d’expertises en innovation et développement durable. La structure s’inspire des écosystèmes de la nature pour y trouver des interactions avec les écosystèmes humains.
- Glowee, dont fait partie Gilles Defrel (Sup’Biotech promo 2016), développe un système d’éclairage à partir de micro-organismes produisant leur propre lumière. Une solution écologique, sans consommation d’électricité ni émission de pollution lumineuse.
Z3DLab, le premier centre de fabrication additive métal de la région parisienne, qui s’inspire des animaux et de la nature pour créer certaines pièces (design biomorphique).
Vanessa Proux, directrice générale de Sup’Biotech
« Nous avons souhaité montrer que la nature pouvait être un très bon modèle d’inspiration pour de nombreuses applications industrielles. Le monde vivant, parfois qu’on ne voit pas, peut être imité et utilisé à bon escient pour répondre à nos besoins primaires, comme se nourrir, se soigner ou vivre dans un environnement respirable. Ces événements interprofessionnels sont l’occasion de montrer l’implication de l’école dans ces sujets d’actualité et d’innovation. Ils offrent aussi des moments de réflexion et d’approfondissement pour nos étudiants. »