Dopage et biotechnologies : liaisons dangereuses

gerard_dine.jpgCet été, la remise d’un premier rapport par la Commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage ainsi que les performances de certains coureurs lors du Tour de France ont ravivé le débat autour de l’usage de produits dopants dans le sport. Certains estiment que l’avenir du dopage se trouve dans les biotechnologies. Pour le professeur Gérard Dine, médecin biologiste, directeur du département d’hématologie clinique du Centre Hospitalier Régional de Troyes (Aube) et spécialiste des questions sur le dopage, c’est déjà le cas.

Quelle place les biotechnologies occupent aujourd’hui dans le dopage ?

En France, le premier scandale majeur de dopage récent reste l’affaire Festina (1998). Avec l’utilisation massive de l’EPO et des hormones de croissance hypophysaires (des produits dopants recombinants) par près de 80 % du peloton, la biotechnologie a pleinement intégré le dopage. Cela fait maintenant quinze ans. Or, les autorités compétentes, bousculées par le rapport de la commission sénatoriale, n’en prennent conscience qu’aujourd’hui.

En quinze années, les produits dopants ont énormément évolué. On peut agir avec beaucoup de précision sur un métabolisme, un muscle, un tendon ou un ligament par exemple. Leur efficacité a progressé et ils sont quasiment indétectables via les tests toxicologiques – dépassés – qui sont toujours appliqués aujourd’hui, faute de réglementation plus récente, en phase avec les avancées technologiques.

Il faut prendre conscience que les officines agissant dans le domaine du dopage sont en permanence en veille technologique et surveillent les publications scientifiques avec grand intérêt. Dès qu’une molécule ou une substance fait l’objet d’une publication et qu’il a été démontré qu’elle n’était pas dangereuse pour l’humain, on peut parier sur le fait que ces laboratoires dopeurs vont s’en accaparer, les détourner et les tester très rapidement.

Le tableau que vous dressez est plutôt sombre…

Il ne faut pas voir de pessimisme dans cette énumération. Plutôt du réalisme. Ces différents usages dans le dopage sont à mettre en regard avec les formidables développements de la biotechnologie médicale que nous avons connus ces dernières années. Grâce à ces avancées scientifiques, nous pouvons envisager de guérir des maladies comme les myopathies qui, jusqu’ici, nous semblaient incurables. Les thérapies cellulaires et géniques sont en cela fantastiques ! Cependant, il faut comprendre que cela ouvre également de nouvelles possibilités pour un dopage plus ciblé et quasiment invisible.

En fait, le phénomène de dopage est systématiquement lié à de grandes découvertes pensées initialement différemment. Les amphétamines ont été perfectionnées dans les années 1930 pour améliorer les performances des combattants pendant la Seconde Guerre mondiale. Les stéroïdes ont d’abord été pensés pour aider les personnes souffrant de difficultés métaboliques et énergétiques, tout comme l’EPO doit pouvoir résoudre certains problèmes hématiques.

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Peut-on imaginer qu’à terme, on voit des « sportifs génétiquement modifiés », puisque c’est ce vers quoi nous semblons tendre ?

Actuellement, un certain nombre d’essais sont en cours au sujet de la thérapie génique, sur des constituants qui peuvent se rompre chez un sportif (muscles, tendons, ligaments). Les progrès dans ces domaines de la réparation sont intéressants. Evidemment, à terme, cela risque d’être détourné à des fins de dopage (comme la thérapie cellulaire l’est actuellement).

Cependant, je ne pense pas que l’on franchira cette frontière qui consisterait à créer un athlète transgénique. Cela impliquerait d’agir au niveau embryonnaire. Je pense par contre que d’ici une vingtaine d’années, nous allons assister à un développement de l’utilisation des thérapies cellulaires et géniques dans le cadre de l’amélioration des performances sportives.

Quels moyens existeraient aujourd’hui pour lutter efficacement contre ce dopage de plus en plus difficile à cerner ?

Sur le Tour de France 2013, personne n’est en mesure d’affirmer scientifiquement que Christopher Froome (le vainqueur de cette édition) a triché. S’il se dope, je pense savoir quelles substances il a pu utiliser. Or, il se trouve qu’à l’heure actuelle, ces substances ne sont pas contrôlables. Il s’agit de produits qu’on ne peut pas identifier dans les urines. Il y a un décalage entre les règlementations et les avancées technologiques.

Pour lutter contre ces nouvelles formes de dopage, on pourrait par exemple se servir du passeport biologique comme un élément de traçabilité, grâce à l’aide de l’analyse génétique. En effectuant un screening génétique d’un sportif de haut niveau à un moment T, on peut constater des différences avec les informations de son passeport biologique. On détectera mieux les anomalies anatomiques à partir de cette base.

Il faut également prendre en compte l’aspect économique de l’ensemble : passer d’un système dans lequel certains sportifs boucs émissaires sont punis hypocritement à la suspension en bon et due forme de tout contrevenant est suspendu pour une durée donnée, pour raisons médicales, avec en parallèle, suspension des rentrées d’argent. L’argent reste le nerf de la guerre. Si demain les grands équipementiers sportifs se mettaient à financer l’antidopage, la lutte pourrait peut-être s’équilibrer.

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