Handi-Gaspi : la biscuiterie anti-gaspillage et sociale signée Louise Doulliet (Sup’Biotech promo 2014)
À l’occasion de la semaine du goût organisée du 10 au 14 octobre 2022, Sup’Biotech vous propose de découvrir les coulisses de Handi-Gaspi, la biscuiterie cofondée par Louise Doulliet (promo 2014) qui œuvre pour l’upcycling alimentaire en collaboration avec les structures du handicap. Un bel exemple de réussite entrepreneuriale à la fois anti-gaspillage et sociale dans le domaine de l’agroalimentaire !
Trois associées et un couffin
De gauche à droite : Louise Doulliet, Alix Guyot et Katia Tardy
La dernière fois que Sup’Biotech s’était intéressé à ton parcours, c’était en 2017, alors que tu étais encore cofondatrice d’Aéromate, une start-up spécialisée dans l’agriculture urbaine sur les toits de Paris. Aujourd’hui, tu fais partie des cofondatrices de Handi-Gaspi. Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ?
Louise Doulliet : Chez Aéromate, nous étions plusieurs associés, mais comme cela peut arriver dans de tels projets, il s’est avéré que nous n’avions pas tous les mêmes objectifs pour l’entreprise. D’un commun accord, nous avons alors décidé de vendre la société à de nouveaux repreneurs. Aujourd’hui, Aéromate continue donc d’exister : l’entreprise fait toujours de la culture d’herbes aromatiques en hydroponie sur les toits et propose également beaucoup de visites et de pédagogie autour de l’agriculture urbaine, ce qui est génial. De mon côté, après le chapitre Aéromate, je me suis retrouvée au chômage. Comme mon conjoint était dans la même situation, on s’est dit qu’on allait quitter Paris et s’installer dans la région du premier de nous deux qui trouvera son nouveau job. C’est comme ça que je me suis retrouvée en Loire-Atlantique, pour suivre mon conjoint recruté à Nantes. Dès lors, je savais que je voulais retourner dans l’alimentaire et également retravailler avec des personnes en situation de handicap. En effet, avant de monter Aéromate, j’ai travaillé en tant que responsable usine agroalimentaire biologique au sein de Biogroupe dans le développement et la commercialisation du Kombucha, une boisson fermentée biologique. Et donc, chez Biogroupe, je travaillais déjà avec des personnes en situation de handicap. Je voulais vraiment renouveler cette expérience que j’avais adorée. J’ai alors rejoint une association qui a justement pour but de développer l’insertion des personnes en situation de handicap par le travail et la culture, pour porter un projet de réduction du gaspillage alimentaire avec deux autres collègues, Katia Tardy et Alix Guyot. Et quand notre CDD au sein de l’association s’est terminé en même temps, nous avons décidé de poursuivre le projet en nous associant, pour monter ensemble une boîte toujours tournée sur l’anti-gaspillage alimentaire et l’insertion des personnes en situation de handicap. C’est comme ça qu’est née la biscuiterie Handi-Gaspi en 2021 !
Pourquoi ces deux facettes, le côté anti-gaspillage et la question du handicap, te tiennent tant à cœur ?
Louise Doulliet : Les deux sont essentiels à mes yeux. En effet, il faut savoir qu’on gaspille encore 10 millions de tonnes d’aliments en France par an, dont 50 000 tonnes de pain, ce qui est énorme. Essayant justement à avoir le moins d’impact sur l’écologie au quotidien, je voulais pouvoir œuvrer sur le sujet à travers mon activité professionnelle. Concernant le handicap, c’est mon expérience chez Biogroupe qui m’a sensibilisée à la question. On l’ignore trop souvent, mais les personnes handicapées sont deux fois plus touchées par le chômage que la moyenne nationale. Les structures d’accompagnement de ces personnes sont encore trop souvent fragiles et ont dû mal à trouver de nouvelles activités. D’où notre volonté de pouvoir maintenir dans l’emploi ces personnes en situation de handicap à travers notre projet.
Quels sont vos rôles à Katia, Alix et toi au sein de Handi-Gaspi ?
Louise Doulliet : Nous sommes toutes les trois cofondatrices. Katia, qui a travaillé pendant 7 ans chez Nestlé, est vraiment spécialisée dans tout ce qui est marketing et commercial. Alix, elle, est plutôt axée sur le développement de produits en biscuiterie, forte de son expérience passée chez les biscuits Saint-Michel. Quant à moi, je suis plus tournée sur la partie production et développement industriel. Finalement, nous avons toutes les trois une même envie, mais des casquettes complémentaires, et tout se passe très bien !
Comment a évolué Handi-Gaspi depuis ses débuts ?
Louise Doulliet : Nous avons créé la société en avril 2021, puis débuté la production de nos premiers biscuits en août. En octobre de la même année, nos biscuits ont commencé à être commercialiser localement. Au début, les personnes en situation de handicap se déplaçaient dans un local provisoire pour venir fabriquer les biscuits avec nous, mais depuis le mois d’avril 2022, nous avons ouvert notre biscuiterie au cœur d’un ESAT, soit un établissement et service d’aide par le travail, ce qui permet d’impliquer encore plus de personnes handicapées autour du projet. C’est top ! Aujourd’hui, Handi-Gaspi, c’est donc tout une gamme de biscuits nommée Kignon, avec cinq parfums – chocolat noisette, tout chocolat, sarrasin, citron amande et chocolat orange -, vendue dans 500 points de vente en France, principalement dans les réseaux bio comme Biocoop ou Naturalia.
Notre objectif à terme est de prouver l’impact positif du projet et sa rentabilité sur notre territoire. On pourra ainsi facilement essaimer le projet car les sources d’invendus sont présentes partout sur le territoire, comme les structures du handicap. Ainsi, on pourra répondre à une demande nationale avec un maillage d’atelier locaux.
Revenons à l’anti-gaspillage et votre conception de biscuits. Aujourd’hui, chez Handi-Gaspi, cela passe d’abord par la récupération des pains invendus, non ?
Louise Doulliet : Effectivement ! Aujourd’hui, on récupère les invendus de pain bio des boulangeries nantaises, qu’on broie et qu’on intègre à la pâte à biscuit. Toutefois, à l’avenir, on compte bien essayer d’aller plus loin en se positionnant sur d’autres « coproduits ». Evidemment, le pain est intéressant parce qu’il ne souffre pas de saisonnalités – il y en a toute l’année –, mais on est en train de travailler avec les industriels pour récupérer d’autres choses, comme par exemple les drêches des bières pour utiliser le malt qui reste en fin de brasserie – pour information, 500 kilos de malt sont nécessaires pour produire seulement 1 000 litres de bière ! On s’intéresse également aux tourteaux de noix et de noisette, soit les restes des huileries après le pressage, qui sont aujourd’hui donnés au bétail. Ces tourteaux ont un super goût et nous sommes en train de travailler pour trouver un moyen de récupérer ce coproduit.
Est-ce que le fait d’avoir déjà eu une première expérience entrepreneuriale par le passé avec Aéromate, ça t’aide aujourd’hui pour l’aventure Handi-Gaspi ?
Louise Doulliet : Oui, carrément ! On dit souvent que sa première boîte, il faut la couler pour que la deuxième marche mieux et je ne suis pas loin de le penser ! (rires) Effectivement, l’expérience d’Aéromate m’a appris énormément : cela me permet d’éviter aujourd’hui de nombreux écueils, notamment dans la prise de décisions stratégiques de développement. Cela m’a aussi appris à bien choisir les personnes avec qui m’associer, à avoir une meilleure réflexion sur le fait de faire entrer quelqu’un au capital de l’entreprise et, surtout, à mieux cerner ce qu’on vend, à qui on le vend et comment on le vend. Ça paraît bête, mais ce sont des sujets importants qu’on peut parfois négliger si l’on n’a pas assez d’expérience ou de recul.
Comment, en tant qu’entreprise, intègre-t-on des personnes en situation de handicap ?
Louise Doulliet : On travaille vraiment en collaboration avec les équipes de l’ESAT car ils connaissent très bien leurs travailleurs et toutes les problématiques qu’ils peuvent rencontrer humainement. A contrario, nous connaissons très bien le monde de l’agroalimentaire qu’eux ne connaissent pas du tout. De ce fait, chacun amène ses compétences : l’ESAT gère toute la partie sociale, avec notamment le suivi psychologique des personnes en situation de handicap, tandis que nous leur apprenons la partie agroalimentaire en les formant au quotidien à la production de biscuits. Cela passe aussi par la mise en place de dispositifs spéciaux. Par exemple, pour nos stockages, tout est identifié avec des gommettes colorées, ce qui permet de faire des préparations de commandes plus facilement. Le but est de pouvoir mettre en place plein de petits outils afin de simplifier au maximum les différentes étapes.
De quels handicaps parle-t-on ?
Louise Doulliet : Ce sont des handicaps psychiques et mentaux. Les personnes souffrant de handicap mental sont nées avec alors que le handicap psychique apparaît généralement avec le temps.
Tu as pu déjà nous parler des perspectives d’évolution pour Handi-Gaspi. Toutefois, est-ce que vous avez également d’autres projets pour le futur ?
Louise Doulliet : Bien sûr, il y en a plein ! Bien que nous ayons démarré avec une gamme de biscuits sucrés, nous espérons aussi pouvoir prochainement lancer une gamme salée. Mais notre grand objectif à court terme est de pouvoir faire une gamme pour les grandes surfaces en récupérant leurs invendus – les grandes surfaces possèdent très souvent leur propre boulangerie sur place et « perdent » en général 8 à 10 % des pains produits chaque jour – pour ensuite les transformer et les vendre directement chez elles, de façon à créer une économie circulaire à l’échelle d’un seul magasin. Nous sommes donc actuellement en train de travailler avec une enseigne à côté de chez nous pour essayer de faire ça bientôt. L’idée est que la grande surface puisse, avec nous, récupérer ses propres invendus de pain bio, les broyer et les transformer en biscuits avec une recette qui lui serait spécialement dédiée, sous une marque Handi-Gaspi en collaboration avec l’enseigne. Cette dernière pourra ainsi mettre en avant le fait que ce sont ses propres invendus qui se retrouvent dans ces biscuits.
Justement, est-ce que les grandes surfaces sont de plus en plus sensibles à ce genre de démarche et de produit anti-gaspillage ?
Louise Doulliet : Il y a un vrai besoin et une vraie envie. Cela leur permet d’avoir une communication super intéressante à mettre en avant auprès des consommateurs, mais pas seulement. En effet, une loi est actuellement en discussion pour inciter à une plus grande valorisation des invendus, d’abord pour l’alimentation humaine et, dans un second temps, pour l’alimentation animale. Si cette valorisation n’est pas possible, cette loi préconise de faire de la méthanisation ou du compost. De ce fait, les grandes enseignes vont devoir accentuer leurs objectifs de revalorisation. Mais même sans cette loi, on ressent une vraie volonté derrière !
Combien Handi-Gaspi compte d’employés aujourd’hui ?
Louise Doulliet : Aujourd’hui, nous sommes une équipe de six personnes au quotidien à laquelle s’ajoute une trentaine de personnes en situation de handicap en roulement – chaque jour, dix d’entre elles viennent travailler à la biscuiterie –, qui ont été formées sur l’activité et sur cette volonté de valoriser les invendus. Elles savent que revaloriser 30 tonnes de pains représente 39 millions de litres d’eau économisée car, pour fabriquer une simple baguette de pain, de la culture du blé à la transformation finale, on utilise l’équivalent d’une baignoire remplie d’eau !
Enfin, tu seras présente ce vendredi 12 octobre à Sup’Biotech à l’occasion de la semaine du goût. Pourquoi est-ce important de venir parler de ton parcours et de ton activité aux étudiants actuels de l’école ?
Louise Doulliet : Tout simplement parce que je pense que les gens sont aujourd’hui bien plus sensibles à toutes ces problématiques sociales et environnementales ! Si ma présence peut leur donner des idées d’activités différentes de ce qu’on voit traditionnellement, cela ne peut être que bénéfique. Quand on se lance dans la vie professionnelle après une école d’ingénieurs, on a tendance à logiquement se tourner vers des grands groupes, mais moi, je trouve ça intéressant de montrer que d’autres chemins sont possibles, que l’on peut imaginer d’autres solutions et faire un peu bouger les lignes par soi-même ! Et si cela leur donne envie d’acheter nos petits biscuits, c’est bien aussi ! (rires)
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