Biotechnologies, parasites, corps bionique… À quoi ressemblera vraiment l’humain de demain ?
Organisée le 31 mai dernier sur le campus parisien de l’école, la nouvelle édition du colloque de la recherche de SupBiotech réunissait un panel de chercheurs pour une table ronde passionnante dédiée à l’humain de demain. Un sujet qui, chez le grand public, nourrit de nombreux fantasmes mais qui, pour les scientifiques, permet surtout d’explorer de multiples domaines – santé, environnement, alimentation, génétique…
SupBiotech vous propose un entretien croisé avec deux des participants de l’événement : Pierre-Antoine Vigneron, enseignant-chercheur au laboratoire CellTechs de l’école, et Guillaume Lecointre, zoologiste, systématicien français et professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Un échange où se croisent parasites, modifications de l’environnement, biomimétisme et, bien sûr, biotechnologies.
Guillaume Lecointre et Pierre-Antoine Vigneron
Pourquoi avoir choisi la thématique de l’humain de demain pour cette nouvelle édition du colloque de la recherche de SupBiotech ?
Pierre-Antoine Vigneron : Nous avons choisi une thématique volontairement très large pour laisser le plus de liberté possible aux étudiants lors des échanges. Le principe de notre colloque de la recherche est de présenter aux étudiants la recherche menée à SupBiotech mais aussi de leur rappeler ce qu’est une démarche scientifique – comment pendre des éléments clés pour réfléchir avec puis analyser des faits. D’où l’intérêt d’inviter Guillaume pour qu’il puisse donner des faits et des chiffres, c’est-à-dire des éléments scientifiques vérifiés, afin de construire une argumentation et de nourrir une réflexion chez les étudiants. Si l’opinion est personnelle, dans le monde scientifique, elle doit se baser avant tout sur des faits clairs et nets.
Guillaume, justement, en tant que zoologiste, comment votre domaine de prédilection s’accorde avec cette thématique ?
Guillaume Lecointre : Quand on travaille sur les sciences de l’évolution, on ne prévoit pas l’évolution au sens du récit : on ne peut pas fournir un récit de l’humain de demain. Pour autant, même si l’on ne peut pas dérouler l’histoire du futur car elle n’est pas prévisible, on peut toujours identifier les forces qui seront à l’œuvre dans le futur et qui conditionneront ce récit, voire les modifications de l’environnement actuel que nous produisons qui vont peser sur les générations futures, même à l’échelle de trois siècles. C’est justement cette idée que j’ai voulu transmettre aux étudiant : on peut dès à présent savoir quels seront les déterminants principaux de cette histoire, nonobstant le fait que d’autres déterminants arriveront également en cours de route.
À quoi pourrait alors ressembler cette « histoire du futur de l’humain » ?
Pierre-Antoine Vigneron : Dans les préoccupations des étudiants avec qui nous avons organisé ce colloque revenait très souvent l’aspect technologique, avec cette idée d’un futur humain bionique. Ils se demandaient si l’on allait avoir un nouveau bras, une vision à rayon X… Bref, ils avaient en tête des concepts souvent nourris par la science-fiction. Voilà pourquoi j’ai particulièrement apprécié l’intervention de Guillaume qui nous a un petit peu remis les pieds sur terre en rappelant qu’avant d’en arriver à ce stade, beaucoup de choses étaient à prendre en compte, notamment cette pression sélective et parasitaire que nous nous appliquons nous-mêmes. Il a aussi rappelé une évidence : si l’on veut aborder le cas de l’humain de demain, il faut prendre l’entièreté de l’humanité en compte et non pas se cantonner à une vision autocentrée. Si l’on se concentre uniquement sur la France, un pays très modernisé, alors oui, bien sûr, on peut se dire que la prochaine étape est justement d’avoir un bras bionique. Mais ce serait oublier que, dans les zones intertropicales par exemple, il y a encore des gens qui meurent de parasites aujourd’hui. Si l’on observe l’humanité à l’échelle globale, cette vision parcellaire ne tient pas la route.
Guillaume Lecointre : Dans les forces qui façonneront l’humain de demain, il y a de la continuité et de la nouveauté. Côté continuité, il y a toujours la question du parasitisme qui restera la principale cause de sélection humaine à l’échelle de l’humanité – ne parlons pas seulement des 20 % de la population mondiale les plus riches, mais prenons en compte l’ensemble de la population. À l’avenir, il y aura sans aucun doute d’autres pandémies de virus, de bactéries. Côté nouveauté, ce sont les modifications pérennes de l’environnement que nous produisons. Parmi ces modifications, on retrouve certaines formes de pollution chimique comme par exemple ces molécules qu’on appelle perturbateurs endocriniens : elles interfèrent avec la régulation hormonale chez l’humain, ce qui touche beaucoup de fonctions physiologiques – ça joue sur le sommeil, l’humeur, la croissance, la reproduction, etc. – avec, en plus, des effets intergénérationnels qui parlent forcément à l’évolutionniste que je suis. On peut aussi citer les particules fines en circulation – qui le seront encore pour longtemps – ainsi que les microplastiques. Ces derniers sont des « tueurs en série » dans l’échelle alimentaire marine… mais nous les ingérons également ! Nous allons donc devoir vivre avec ces microplastiques en circulation dans notre corps et ceci pour longtemps encore car très peu de micro-organismes sont capables de les dégrader. Peut-être que cela viendra un jour, mais ce n’est pas le cas pour le moment. Quant aux nouvelles pressions environnementales que nous nous imposons à nous-mêmes, nous ne les avons pas nécessairement souhaitées, mais en revanche, nous en sommes responsables.
Comment définir ce qu’est le parasitisme ?
Guillaume Lecointre : Il s’agit d’une interaction pérenne entre deux ou plusieurs espèces dans laquelle une espèce tire profit d’une autre sans la tuer. Ce n’est donc pas de la prédation même si l’on pourrait considérer cela comme une sorte de prédation à feu doux : le nombre de descendants de l’espèce parasitée devient moindre, certes, mais cette espèce parasitée survit tout en continuant à porter la charge du parasite qui lui, évidemment, se reproduit aux dépens de son hôte. Et à la fin, lorsque les bénéfices finissent par s’équilibrer – cela peut arriver au cours de l’évolution même s’il faut évidemment du temps –, on n’appelle plus ça du parasitisme, mais du mutualisme. En théorie de l’évolution, on pense ainsi que le parasitisme, c’est la base, le général, et que le mutualisme est une émergence qui vient progressivement à partir de situations parasitaires.
En tant que spécialiste de l’évolution et zoologiste, vous intéressez-vous aux biotechnologies ?
Guillaume Lecointre : Je ne dirais pas que je les suis de près, mais j’y prête attention. Lors du colloque, le panel d’intervenants a rappelé fort justement que le déterminant principal pour l’humain de demain resterait une organisation économique permettant un partage plus équitable de de la ressource alimentaire et de la santé. Les biotechnologies, elles, n’arriveraient qu’à la seconde place. À l’échelle mondiale, le premier problème reste donc organisationnel et socio-économique, mais cela ne signifie pas pour autant d’ignorer les avancées technologiques qui se trament au second plan. Les biotechnologies peuvent d’ailleurs donner une note d’espoir. Par exemple, pour nourrir l’humanité en 2070 sans mordre davantage sur les terres ni épuiser les sols comme nous l’avons fait, on pourra peut-être s’appuyer sur les biotechnologies marines et ainsi trouver une manière pérenne de cultiver des algues pour, non seulement nourrir l’humanité, mais aussi fournir de la matière première à des produits manufacturés tout en baissant le bilan carbone de l’activité globale. Les biotechnologies font donc partie de la solution, même si la partie la plus importante concerne d’abord l’organisation économique.
Quand on évoque les biotechnologies, il n’est pas rare de parler également du biomimétisme. C’est un sujet qui vous intéresse ?
Guillaume Lecointre : Au sein du Muséum national d’histoire naturelle, il se trouve que nous avons une cellule de recherche en biomimétisme et que nous publions actuellement des articles sur le sujet. Il y en a d’ailleurs un qui va sortir et dont je suis le premier auteur portant sur comment concevoir un biomimétisme à la lumière de l’évolution. En effet, c’est une approche que certaines écoles du biomimétisme avaient omis de faire. Nous rapportons justement des faits évolutifs pour un biomimétisme mieux inspiré de la biologie.
Pierre-Antoine, vous qui êtes au cœur de la formation à SupBiotech, comment jugez-vous la capacité de la zoologie et l’histoire de l’évolution à éclairer l’avenir des biotechnologies ?
Pierre-Antoine Vigneron : Quand on s’intéresse à l’évolution, on regarde finalement notre passé. Or, il faut toujours s’inspirer du passé pour entrevoir l’avenir. Étudier l’évolution, c’est comprendre les phénomènes et pressions appliqués sur nos génomes, l’impact de notre alimentation au fil du temps, etc. À ce titre, l’exemple des microplastiques donné par Guillaume est particulièrement flagrant. On a tout de même espoir que les biotechnologies puissent faire de l’ingénierie génétique sur des micro-organismes afin que, ceux-ci, réussissent à les dégrader à l’avenir. Avant d’y parvenir, il faut d’abord dresser une sorte d’état des lieux à l’heure actuelle et voir où sont les problèmes : on sait que ce micro plastique va organiser une pression de sélection sur l’être humain et même sur tout organisme vivant, alors il convient de créer un axe de recherche dans lequel il faut mettre des forces. Pareil pour les algues : pour nourrir de plus en plus d’êtres humains, il va bien falloir les produire. Pourquoi pas exploiter des champs sous-marins d’algues ? Partager ces constats, c’est aussi donner de nouvelles directions à la recherche dans les biotechnologies.