La dystrophie musculaire : agir en inhibant la myostatine
La dystrophie musculaire : agir en inhibant la myostatine
Carine LA, Cédric AUBRY, promotion 2013
Alors que renforcement musculaire et myostatine riment plutôt avec dopage chez les sportifs, les personnes atteintes de dystrophies musculaires, encore appelées myopathies, pourront peut-être bénéficier d’un traitement basé sur l’inhibition de la myostatine, afin de renforcer leurs muscles. Cette piste thérapeutique basée sur la thérapie génique est le résultat de nombreuses années de recherches. Ici, il ne s’agit non pas de réparer le gène altéré mais d’augmenter la quantité d’une protéine pour inhiber une voie moléculaire. S’il en résulte un traitement, il reste à savoir s’il sera efficace seul ou en complémentarité avec d’autres traitements.
Ces maladies recouvrent les affections dégénératives primitives de la fibre musculaire striée squelettique, excluant d’une part les anomalies de développement embryonnaire du muscle, d’autre part les lésions dégénératives musculaires secondaires à des lésions du système nerveux central et périphérique. On compte parmi elles, les dystrophinopathies, c’est-à-dire des myopathies héréditaires qui résultent du déficit partiel ou total d’une protéine du cytosquelette, la dystrophine. Dans ces maladies, la membrane de la fibre musculaire se déchire lors des contractions de l’appareil contractile. La maladie évolue sur une vingtaine d’années : les fibres musculaires déchirées sont, chez le jeune enfant, remplacées par régénération à partir d’un stock de myoblastes de réserve au sein des muscles. Mais à mesure que la quantité de myoblastes diminue, le handicap moteur progresse jusqu’à atteindre le diaphragme et le cœur. Les troubles cardiaques (des anomalies de conduction et du rythme) sont donc fréquents.
Actuellement, la prise en charge des malades est pluridisciplinaire et elle permet au malade de conserver sa qualité de vie en limitant les conséquences de la maladie et en ralentissant l’évolution. Ainsi, leur sont prescrits les corticoïdes1 cependant en France2 les médecins étaient, jusqu’à une date récente, très réticents à prescrire ce type de substance pharmacologique, essentiellement par crainte des effets secondaires. Le malade a recours au kinésithérapeute et à l’orthopédiste, en effet la prise en charge orthopédique consiste à surveiller les déficits musculaires et à prévenir les déformations articulaires.
Les travaux des chercheurs Se-Jin LEE et Alexandra MC PHERRON (université Johns Hopkins à Baltimore) ont montré la possibilité d’inhiber l’action de la myostatine par la follistatine. Cette découverte, dont le brevet a été publié le 31 octobre 2002, est reprise par d’autres chercheurs pour l’appliquer dans le cas des dystrophies musculaires3.
La myostatine ou GDF8, pour Growth and Differenciation Factor 8, est une molécule secrétée naturellement par les cellules musculaires squelettiques au cours du développement et à l’âge adulte. Elle appartient à la famille des TGF-beta, pour Transforming Growth Factor, des protéines jouant un rôle essentiel dans la régulation normale ou pathologique de la croissance et de la différenciation cellulaire. Lorsqu’elle est codée par son gène, la myostatine est une protéine inactive composée de deux entités : un propeptide et un fragment dit « mature » . Par la suite, ces deux éléments se séparent et le fragment mature s’organise en double anneau : c’est la myostatine active. Le propeptide, seul, joue alors le rôle de régulateur de l’activité de la myostatine. Attaché à elle, le propeptide l’inactive. Mais lorsque la myostatine rencontre son récepteur spécifique à la surface des cellules, le récepteur activine ActRIIB, le propeptide se détache et la myostatine déclenche un ensemble de processus limitant la croissance musculaire. À l’issue de cette cascade de réactions, on observe une diminution de la taille et du nombre des fibres musculaires.
Pour rappel, l’inhibition de la myostatine favorise la croissance, en taille et nombre, des fibres musculaires. Fort de ce constat, plusieurs laboratoires comme Acceleron Pharma4 ont étudié l’effet d’un blocage de la myostatine dans le cadre des maladies du muscle. L’ensemble des expériences réalisées sur des modèles animaux atteints de dystrophies musculaires, comme l’indiquent les chercheurs du Royal Veterinary College à Londres dans « The function of Myostatin and strategies of Myostatin blockade », a montré que l’inhibition de la myostatine réduisait le processus dystrophique. Il existe plusieurs pistes thérapeutiques utilisant la voie de la thérapie génique (50 %), de la thérapie cellulaire (20 %) et de la pharmacologie classique (30 %)5. À l’heure actuelle, l’inhibition de la myostatine par la follistatine dans le cadre de la thérapie génique montre une grande efficacité6. La follistatine est un fort antagoniste de la myostatine et neutralise son activité inhibitrice en se liant au dimère mature et en inhibant sa liaison sur son récepteur ActRIIB7. L’ajout de follistatine dans l’organisme peut constituer un moyen d’augmenter la masse musculaire, ce que des chercheurs du Nation wide Children Hospital tentent de faire. Pour cela, ils font des expériences sur des macaques crabiers, Macaca fascicularis : on leur injecte un virus adéno-associé, AAV1, non pathogène et qui sert de véhicule de transfert de gènes thérapeutiques. Le gène qui y est introduit est celui qui code une iso-forme de la follistatine, le FS344. L’injection de AAV1-FS344 se fait au niveau du quadriceps et à l’issue de cette expérience, les résultats témoignent d’une bonne tolérance à cette dernière par les primates et révèlent surtout une augmentation de la masse et de la longueur du muscle.
Cette piste thérapeutique pourrait être donc considérée comme le nouvel espoir des personnes atteintes de myopathies.
1 AFM, Zoom sur la dystrophie de Duchenne, p.24 « Les corticoïdes sont des médicaments utilisés dans la myopathie de Duchenne (DMD) depuis une vingtaine d’années par les équipes anglo-saxonnes. Ils se sont imposés ces dernières années comme la référence en matière de traitement médicamenteux dans cette maladie, en complément du reste de la prise en charge. Les corticoïdes ont une action anti-inflammatoire qui semblerait expliquer une grande partie de leur effet positif dans la DMD. De nombreuses études cliniques ont montré qu’un traitement par des corticoïdes (corticothérapie) pouvait prolonger la période de marche d’une durée de deux ans en moyenne. »
2 Cf. AFM, Zoom sur la dystrophie de Duchenne, p.25
3 Janaiah Kota, Chalonda R. Handy, Amanda M. Haidet, Chrystal L. Montgomery, Amy Eagle, Louise R. Rodino C Klapac, Danielle Tucker, Christopher J. Shilling,Walter R. Therlfall, Christopher M. Walker, Steven E. Weisbrode, Paul M. L. Janssen,K. Reed Clark, Zarife Sahenk, Jerry R. Mendell, Brian K. Kaspar, Follistatin Gene Delivery Enhances Muscle Growth and Strength in Nonhuman Primates, Science Translational Medicine, 11 novembre 2009
4 Acceleron Pharma est un laboratoire biopharmaceutique américain fondé en 2003
5 Cf. site de l’AFM
6 Cf. site de l’institut de myologie
7 Lee and Mc Pherron, 2001