Sup’Biotech vous dévoile un extrait de « Biotechnologies, les promesses du vivant » (FYP Éditions)

Pour la sortie de son livre « Biotechnologies, les promesses du vivant » (FYP Éditions), Sup’Biotech vous en livre un extrait. Il s’agit de son introduction, signée par le professeur Gérard Tobelem, président du conseil d’administration de Theradiag et membre du conseil d’administration d’OSE Pharma. Ancien président de l’Établissement français du sang (EFS), il a dirigé l’Institut des vaisseaux et du sang et a occupé plusieurs postes au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dont ceux de conseiller scientifique du ministre et directeur de la Mission scientifique et technique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (dont « Histoires du sang » en 2013, aux éditions Perrin) et le cosignataire de plus de 200 publications internationales en sciences de la vie et de la santé.

supbiotech_promesses_du_vivant_biotechnologies_fyp_editions_livre_extrait_introduction_gerard_tobelem_01.jpgC’est au Néolithique que l’homme se lance à la conquête du vivant avec les premières domestications d’animaux et acclimatation de plantes ; les débuts de l’agriculture et les premiers produits fermentés vont ainsi marquer le départ de la grande aventure humaine moderne. Prédateur, chasseur-cueilleur, Homo sapiens devient cultivateur et éleveur, il commence à façonner le vivant, il le transforme, il le détourne à son profit en même temps qu’il développe des technologies pour produire davantage. Sélection, tri, croisement, la maîtrise du vivant par l’homme s’affirme au cours des siècles. Mais il faudra attendre plusieurs millénaires pour la révolution biologique. C’est en effet au cours des trois dernières décennies du XIXe siècle que la biologie a été réellement consacrée science d’étude du vivant et qu’elle a préparé l’émergence des biotechnologies. La définition des biotechnologies n’est pas simple. Ce terme se compose de « bio » du grec bios, vie, et de « technologie », dérivé du grec tekhnología, littéralement « traité ou dissertation sur un art », notion qui a fait son apparition au XIXe siècle et qui désigne les études des outils et des techniques (du grec techné, art manuel). Les biotechnologies se réfèrent donc aux techniques qui ont prise sur la vie, avec l’objectif de la modifier, de l’apprivoiser. En réalité, les biotechnologies font leur apparition au moment où l’homme cueilleur-chasseur a commencé à se sédentariser et à utiliser le vivant à son profit. Elles sont nées avec la culture et l’élevage, lorsque l’homme a finalement commencé à intervenir sur la nature et à remodeler l’environnement dans lequel il se développait. Il s’agit donc de techniques très anciennes, mais qui aujourd’hui possèdent une puissance transformatrice sans précédent.

L’homme a toujours fait des biotechnologies sans le savoir. En agriculture, par exemple, l’intervention sur des espèces végétales a commencé très tôt, avec des croisements pour produire des espèces meilleures et avec une sélection de celles ayant la plus grande capacité de culture et d’expansion. Mais tout s’est accéléré avec les grandes découvertes de la dernière partie du XIXe siècle, qui marquent les débuts de la révolution biologique. Darwin (1809-1882), avec sa théorie de l’évolution expliquée dans son livre « De l’origine des espèces », scelle l’unicité des espèces vivantes et de leurs extraordinaires aptitudes à évoluer. Cette unicité sera confortée par les lois de Mendel (18221884) : ce moine originaire de Moldavie jette les bases de la génétique et de la transmission des gènes qui fondent les caractéristiques, en croisant méthodiquement des espèces différentes de pois. Passées presque inaperçues pendant plus de trois décennies, ces lois seront relancées au XXe siècle par les botanistes. C’est la génétique des plantes qui prépare en effet l’avènement du génie génétique du début des années 1970. Encore à la même époque, Pasteur (1822-1895), grâce à ses travaux sur les fermentations, va donner un formidable essor à la microbiologie, en ouvrant l’ère des vaccins, puis des antibiotiques et plus tard de la bioingénierie. Une nouvelle étape sera franchie en rupture avec les précédentes avec la biologie moléculaire et le génie génétique ; grâce à leurs outils, les biotechnologies feront un saut qualitatif déterminant, tout à la fois conceptuel et technologique. Les limites de la maîtrise du vivant sont désormais repoussées. La révolution de la biologie moléculaire est en marche. On découvre comment cette transmission se fait à partir du gène et de la synthèse des protéines, comment l’épigénétique participe à la diversité entre les espèces et au sein d’une même espèce. Un double constat s’impose alors : un constat d’humilité sur l’universalité des principes qui régissent le vivant, de la bactérie à l’éléphant et jusqu’à l’homme ; et un constat de l’extraordinaire potentiel d’action sur cette machinerie. Progressivement, l’homme se transforme en « mécano » génétique : on ajoute, modifie, enlève ou active un gène. Une formidable boîte à outils devient disponible pour inventer à l’infini.

Aujourd’hui, le temps est raccourci et créer des espèces nouvelles est un possible à la portée de l’homme. Si les grands processus de l’évolution, depuis les bactéries fondamentales qui ont probablement existé pendant une très longue période, ont mis des millions, voire des milliards d’années avant de bourgeonner, aujourd’hui, les biotechnologies offrent à l’homme de nouveaux possibles : savoir davantage, prévoir, transformer, créer. Elles offrent surtout le pouvoir de s’affranchir du temps de l’évolution en le compactant. Mais cela pose des problèmes par rapport à ce que l’on peut en faire. Jusqu’où peut-on aller ? Très tôt, dès 1974, les biologistes moléculaires se sont interrogés sur la puissance de leurs outils. Certains d’entre eux ont même demandé un moratoire sur les expériences de génie génétique. Une conférence d’experts tenue en 1975 à Asilomar, en Californie, a posé les premières interrogations sociétales et éthiques. Les enjeux sur lesquels les chercheurs doivent s’interroger concernent en effet toute la société, avec des approches philosophiques, éthiques, religieuses et morales. Très tôt, dès lors qu’il a pris conscience de son existence, l’homme s’est questionné sur ce qu’il était, d’où il venait et où il allait. Un des facteurs déterminants de cette prise de conscience a été probablement
la mort. Elle est au centre des premiers rites religieux et représentée sur les peintures rupestres, ornées d’animaux ou de chasseurs mortellement blessés par la bête poursuivie. La réflexion sur la vie est dominée en Grèce, comme dans le reste des civilisations de la haute Antiquité, par des questions sur la mort qui seront accompagnées de questions sur le monde, avec la cosmologie et la politique. C’est l’émergence de la philosophie et de ses réflexions qui engendre la science. Science et philosophie sont donc très liées de même que science et éthique.

Un pouvoir transformateur sans commune mesure. Le pouvoir de l’homme de transformer son environnement est ancien ; les abattisbrûlis pour créer des clairières dans les forêts sont une marque de ces premières activités transformatrices. Mais ce pouvoir n’était pas irréversible : il suffisait que l’homme change de clairière pour que toute trace de son passage soit totalement et rapidement effacée. Aujourd’hui, ce pouvoir transformateur est immense et il faut veiller à ce que rien ne devienne irréversible. Mais limiter le regard porté sur les problèmes de demain aux seules solutions d’aujourd’hui est une vision pessimiste de la capacité de l’homme à faire face aux difficultés. Gardons confiance dans l’homme et son extraordinaire potentiel d’innovation. Dans ce merveilleux titre du livre du philosophe Karl Popper, « Toute vie est résolution de problèmes », l’auteur souligne que les sciences de la nature, ainsi que les sciences sociales, partent toujours de problèmes. Il met l’accent sur l’obligation de résoudre les problèmes et sur l’évolution perpétuelle que cette exigence engendre. Il en est de même pour l’évolution des espèces qui s’impose au vivant soumis à la pression d’un environnement hostile ou bénéfique. Les biotechnologies peuvent créer de nouveaux problèmes, mais peuvent aussi être de formidables outils pour les résoudre en médecine, en agriculture et en remédiation de l’environnement.

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Gérard Tobelem et Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de IONIS Education Group lors de la cérémonie des 10 ans de Sup’Biotech en 2014

De tout temps, l’homme a pris des risques, c’est inhérent à sa nature. Bien sûr, ce pouvoir transformateur doit être encadré et maîtrisé. Néanmoins, la précaution comme principe de départ est un frein dont il faut bien évaluer les conséquences. Il est nécessaire de savoir prendre des risques, raisonnés et responsables. La prise de risques est propre à la nature de l’homme et est à l’origine de l’innovation et du progrès. La précaution systématique s’oppose à cette nature et est contraire à ce que de tout temps l’homme a fait : partir à l’aventure, à la découverte d’espaces nouveaux, y compris dans les territoires les plus hostiles. Faire des choix, c’est savoir se mettre en danger. L’homme, animal pensant et savant doit être en mesure de raisonner sur les prises de risques par rapport aux bénéfices escomptés – un peu comme dans le rapport bénéfice/risque pour la mise sur le marché d’un médicament. Sans la prise de risques, beaucoup d’avancées n’auraient pu être réalisées. Si nous prenons, par exemple, le cas de la transfusion sanguine, c’est grâce à l’audace des premiers transfuseurs du milieu du XVIIe siècle que nous pouvons aujourd’hui sauver des millions de vies.

La société doit s’emparer des biotechnologies. Débordant largement le strict champ des recherches, ces sujets, même si parfois rudes, difficiles et techniques, doivent plus abondamment être diffusés auprès du grand public pour qu’il puisse participer au débat. Il est si facile d’agiter les peurs, surtout dans la société actuelle, et pointer le seul risque individuel sans mettre en balance le bénéfice collectif est un raccourci malhonnête. Il y a donc là un véritable travail d’information, d’éducation, de sensibilisation pour que l’on n’ait pas l’impression de voir l’intrusion soudaine d’une technologie méconnue et qui nous paraîtrait incompréhensible. Plusieurs acteurs doivent intervenir, à commencer par les philosophes qui peuvent se pencher sur ces questions, y réfléchir et partager leurs réflexions ; l’école a un grand rôle à jouer pour intéresser très tôt les plus jeunes à la biologie en tant que science du vivant. Les religieux ont aussi leur place dans ce débat, comme les politiques à condition qu’ils n’aillent pas là où va le vent, entretenus par des médias opportunistes. Ces derniers, avec leur lourde responsabilité d’informer sans manipuler, ont un rôle clé dans cette diffusion. Malheureusement, en France, les rubriques scientifiques ont peu de place dans cette intermédiation, de même que les journalistes scientifiques dans les grandes rédactions. Plutôt que de mettre en lumière tout ce que la science a apporté comme bien-être à l’homme, le retour vers des obscurantismes est le plus souvent pratiqué. La science non seulement n’intéresse plus – l’attractivité des filières scientifiques dans l’enseignement supérieur a bien faibli depuis 30 ans -, mais elle fait peur.

Et pourtant les biotechnologies s’emparent de la société. Recycler, dépolluer, agir sur l’environnement, nourrir davantage de gens, mieux soigner, créer des emplois…, les biotechnologies transcendent le simple cadre scientifique. Elles peuvent transformer toute une société, à la fois sur le plan économique et humain. Prenons l’exemple du vieillissement. Le prolongement de l’espérance de vie croît de façon importante dans le monde. Si l’on parvient à prolonger encore davantage l’horloge biologique et surtout à prévenir le vieillissement du cerveau, du cœur, des articulations de l’homme, cela peut engendrer des conséquences considérables. Quant à la suffisance alimentaire sur notre planète, des centaines de millions de gens restent malheureusement en état de malnutrition et/ou en accès limité à l’eau potable. Là aussi, les biotechnologies peuvent apporter des réponses. Sous-tendues par des intérêts économiques qui sont un formidable moteur, elles doivent néanmoins être accessibles au plus grand nombre.

La France possède une belle carte à jouer. Au milieu des années 1990, en fonction au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, j’avais lancé un plan d’aide à la création de projets en biotechnologies. À cette époque, on comptabilisait une vingtaine d’entreprises françaises de biotechnologies. Aujourd’hui, le tissu s’est considérablement densifié, plusieurs dizaines de sociétés sont créées chaque année dans le pays. Quand le Groupe IONIS a donné naissance à Sup’Biotech en 2004, je trouvais personnellement que c’était un très beau projet, mais un pari risqué et je me demandais ce qu’allaient devenir tous ces étudiants formés. Onze ans plus tard, force est de constater que je me suis trompé ! En France, nous avons un nombre d’entreprises de biotechnologies parmi les plus importantes d’Europe. Les biotechnologies sont une véritable source d’emplois et constituent un environnement favorable pour ceux qui sont enclins à s’embarquer dans l’entrepreneuriat. La création d’entreprises n’était pas du tout dans l’ADN du chercheur français, ni la notion de brevet. Il y a quelques années, un chercheur avait comme première ambition légitime, compte tenu des critères d’évaluation de sa mission, de publier et de montrer immédiatement au public les résultats de ses recherches. Les choses ont évolué très favorablement ; il y a des changements de mentalité qui font que les brevets déposés par des chercheurs sont plus nombreux et s’accompagnent souvent d’un projet de start-up. En France, nous avons des équipes scientifiques d’excellents docteurs et d’ingénieurs, reconnues et enviées, très bien formées qui continuent à produire une recherche de qualité dans les sciences de la vie. Nous avons aussi un tissu industriel, notamment en pharmacie, sur lequel nous appuyer. Nous devons réussir l’alchimie pour réunir ces différents métiers et conduire des projets. Il reste encore à agir sur les dispositifs financiers, économiques et réglementaires, qui posent des difficultés en raison de leur grande complexité.

Plus que jamais, je crois au progrès. Quand j’ai commencé l’hématologie, 75 % des enfants atteints de leucémie mouraient. Aujourd’hui, 75 % des enfants qui ont une leucémie guérissent ! Comment pourrais-je ne pas croire au progrès, alors qu’à l’échelle de ma carrière j’ai vu une inversion complète de ce type de résultats ? Les biotechnologies vont continuer à apporter du progrès et du bien-être dans les différents domaines qui seront décrits dans ce livre. Les bénéfices pour la vie, sa qualité pour la santé et l’économie sont nombreux et importants. Je crois au progrès, même si dans son histoire l’homme s’est laissé entraîner dans des conduites diaboliques. Ces nouveaux possibles apportés par les biotechnologies sont indispensables, on ne pourra pas s’en passer. Tous ceux qui voudraient nous faire revenir à la lampe à huile, je les mets au défi de refuser les biotechnologies s’ils font face à un problème, notamment de santé, pour eux ou leurs proches, qu’elles seules pourraient résoudre. En Afrique, chaque année, des centaines de milliers d’enfants meurent encore de la rougeole, car ils n’ont pas accès au vaccin. Voilà ce à quoi le non-accès au progrès ou le refus du progrès peuvent conduire : à des morts illégitimes. Le progrès est en marche et rien ne pourra l’arrêter, car il est dans la nature de l’homme de le faire avancer.

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