Communication scientifique, un problème à solutions multiples


Le 20 mars 2018, lors d’une nouvelle conférence interprofessionnelle, Sup’Biotech conviait étudiants, scientifiques et journalistes à prendre le pouls de la communication scientifique à une époque où les frontières entre information et désinformation n’ont jamais été aussi fines. Réunissant un panel de personnalités très diverses, l’événement permettait d’aborder le cas de la diffusion d’informations scientifiques tant du côté du grand public et de la sphère médiatique que du côté des chercheurs et de l’industrie.


Vanessa Proux, la directrice générale de Sup’Biotech


Externaliser pour mieux communiquer
Pour trouver le bon moyen de communiquer, l’industrie pharmaceutique peut justement faire appel à des structures comme l’agence de communication PRPA, présidée par Danielle Maloubier. « En tant qu’agence spécialisée en santé, notre but est de protéger et valoriser l’image de nos clients, de renforcer leur notoriété, d’assurer une couverture médiatique et de transmettre une info précise et transparente. Quand on traite de santé et de science, il convient d’avoir un bagage nécessaire pour être en mesure de comprendre ce dont on parle. Il faut aussi être en mesure d’anticiper les risques et les crises, afin d’aborder toutes les facettes (politique, éco, sociétale…) et décortiquer en amont l’ensemble des angles possibles selon la cible choisie, des médias professionnels aux médias grand public, en passant par les réseaux sociaux. » Pour PRPA, une bonne communication passe nécessairement par une bonne connaissance du monde médiatique et des journalistes parfois non spécialisés. « Il faut prendre en compte les attentes, contraintes et devoirs des journalistes : ils attendent une actualité nouvelle et argumentée, portée par un interlocuteur expert et pédagogue, nourrie de témoignages, avec des documents précis, chiffrés, sourcés et illustrés. L’info doit être audible et compréhensible par ses lecteurs et par sa rédaction. »


Danielle Maloubier


Adapter le vecteur selon le destinataire
Ainsi, selon la spécialiste de la communication, chaque message doit faire l’objet d’une réflexion sérieuse en amont pour identifier la bonne marche à suivre. Quand l’Agence de la biomédecine doit faire comprendre le changement de la loi bioéthique sur le don d’organes (« si vous ne vous exprimez pas, vous êtes donneur ») aux 18-25 ans, l’agence passe par des influenceurs sur les réseaux sociaux, avec achat d’espace, mise à disposition d’un argumentaire, etc. Quand le laboratoire Lilly compte sortir un nouveau médicament sur la polyarthrite rhumatoïde, elle préconise une diffusion de newsletters, l’organisation de conférences et la création de vidéos et infographies destinées à la presse spécialisée. Enfin, quand Novartis souhaite communiquer sur sa présence auprès des associations de patients atteints de la sclérose en plaques, elle agit encore différemment, demandant cette fois à une metteur en scène atteinte de la maladie de réfléchir à une pièce de théâtre abordant le quotidien des malades tout en faisant intervenir des neurologues. À chaque fois, le processus change, mais pas la règle sous-jacente : « On ne peut pas tout dire, mais ce que l’on dit doit être vrai. »



L’éthique et la précision au premier plan
Développer un message précis et documenté permet d’éviter les raccourcis et l’alimentation de polémiques superflues pouvant prendre rapidement de l’ampleur sur Internet. C’est en tout cas l’avis d’Assaël Adary, président du cabinet d’études d’opinion Occurrence, spécialiste de la donnée et auteur du blog datadeontologue.com. « Aujourd’hui, on est face à deux chemins. Il y a d’abord celui de la post-vérité où les faits importent peu en comparaison avec l’émotion, le ressenti… Ce chemin n’est pas nouveau : Platon le décrivait déjà (« L’homme est la mesure de toutes choses »). C’est celui emprunté par Trump, les partisans du Brexit… L’autre chemin, c’est celui du relativisme, qui se base sur des chiffres sans prendre de recul car, à force de produire énormément de données, on peut perdre le fil en mettant sur le même pied d’égalité différents organismes. Ainsi, n’importe quelle data produite devient presque directement crédible. Pour lutter contre cela, il y a deux solutions : la régulation – qui sera compliquée à mettre place, mais passera aussi par la judiciarisation –  et la notion d’éthique. »


Assaël Adary


Un constat également dressé par Denis Teyssou, responsable éditorial du Médialab de l’AFP, qui rappelle la nécessité pour les lecteurs de rester vigilants sur la source et le traitement des informations qu’ils reçoivent. Pour Assaël Adary comme lui, la technologie n’est pas forcément vue comme un obstacle : elle a aussi le potentiel pour offrir des outils utiles dans cette quête de la vérité, comme avec le projet européen InVID destiné à vérifier l’origine des vidéos relayées sur Internet afin d’éviter toute manipulation et tentative de désinformation. Pour bien communiquer, l’émetteur du message a donc tout intérêt de mettre l’éthique au centre des démarches. « La dimension éthique implique d’ouvrir des questionnements, un débat, note Patrick Gaudray, directeur de recherche et ancien membre éminent du Comité National d’Ethique. « La question est le désir de la pensée et « la réponse est le malheur de la question » expliquait Maurice Blanchot. L’éthique, c’est disséquer un sujet afin d’éviter que des questions restent dans l’ombre. »


Denis Teyssou


Patrick Gaudray


Entre vulgarisation et protection
La remise en question ne touche pas seulement les lecteurs : elle concerne également les scientifiques. C’est ce que développe Christine Giovane, dirigeante du cabinet ACAVI, avec un exemple simple : le grand public ne connaît pas le nom des récents prix Nobel français. « Pour les scientifiques, il y a une différence entre communication scientifique, qui implique la valorisation des groupes de travail, des projets et des collaborations, et vulgarisation scientifique, qui nécessite de s’adresser au monde extérieur. Ce sont deux métiers différents, mais les prix Nobel ou scientifiques ayant réussi à marquer la conscience collective savaient aussi communiquer de façon intelligible sur leurs travaux. »


Christine Giovane aux côtés de la journaliste Anne Pezet, animatrice de la conférence


Durant la conférence, Quentin Bernard (Sup’Biotech promo 2018), cofondateur de la start-up BioShield incubée au Genopole d’Evry, est revenu sur son expérience d’entrepreneur concernant la communication auprès de potentiels investisseurs


Des institutions spécialisées dans la recherche ont d’ailleurs compris depuis longtemps cette nécessité d’aller vers l’autre et de sortir de l’entre-soi. C’est le cas notamment de l’Institut Gustave-Roussy, représenté lors de la conférence par David Boucard, chargé de mission auprès de la Direction de la Recherche. « L’une de mes missions, c’est de m’occuper de la communication du côté de la recherche. Je fais office de filtre scientifique : j’interviens avant de passer la main aux services de communication pour définir la pertinence du message, vulgariser, faire un tri et valoriser les chercheurs et nos découvertes de la meilleure des façons. »


David Boucard


Eviter la peur et favoriser les rapprochements
Quand, par exemple, l’un des chercheurs en épidémiologie de l’Institut publie une étude documentée sur l’augmentation des risques cardiaques chez les femmes ayant un cancer du sein gauche suite à des techniques de radiothérapies dans les années 1970, la mission de David Boucard l’amène à ne pas choisir de communiquer sur le sujet, par crainte d’une mésinterprétation trop hâtive. « Aujourd’hui, la radiothérapie n’a plus rien à voir avec ce qu’il se faisait il y a 40 ans. Communiquer sur cette étude laissait encourir le risque d’une mauvaise reprise de l’information, d’un effet contraire, alors que les travaux du chercheur sont très bons ! Il est toujours très difficile de recontextualiser sur des messages courts et à destination du grand public : il ne faut pas inquiéter ce dernier inutilement ni nourrir la polémique, alimenter cette défiance. »



Pour vaincre cette défiance, certains font enfin le pari de créer du lien social à travers des initiatives originales à l’instar de Science Santé Société Odéon (S3Odéon), un rendez-annuel qui, depuis 2016, permet à plusieurs dizaines des spécialistes de venir aborder bénévolement de nombreuses thématiques sur la scène du Théâtre de l’Odéon à Paris. « Cela peut concerner le futur de la santé, la question de la surmédicalisation ou encore la défiance des français à propos de la science », explique Agnès Renard, responsable du comité d’organisation chez S3Odéon et directrice générale de LIR – Imaginons la Santé, think tank financé par l’industrie pharmaceutique internationale à l’origine de l’événement. Le but ? Remettre la confiance au centre des débats et surtout aller à l’encontre des idées reçues sur la réalité du monde pharmaceutique et de la médecine, un combat déjà mené par l’intervenante au sein de la structure qu’elle a créée pour lutter contre cette « asymétrie assez injuste » entre le traitement médiatique réservé aux entreprises de la santé et « ce qui se passait réellement chez elles ». Ainsi LIR – Imaginons la Santé développe des études avec des académiques et scientifiques pour poser une question et y répondre à 360 degrés. « Par exemple, nous avons fait une étude sur la consommation des médicaments des français sur 10 ans avec 7 autres pays européens : au final, on s’est rendu compte qu’en dehors de deux catégories de médicaments, les français consommaient moins que d’autres populations, contrairement à ce qu’il se dit souvent. »


Agnès Renard


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